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21 décembre 2009 1 21 /12 /décembre /2009 18:41

Rictus par Samain-copie-1

                   Jehan - Rictus

 




            Jehan - Rictus est connu pour être le chantre de l’argot, le virtuose de la gouaille où la tendresse trinque avec l’ironie.

 

            Enfant de l’amour né le 23 septembre 1867 non reconnu ni par son père, ni par sa mère, sa vie ressemble à un roman misérabiliste.

            Obligé de quitter l’école à treize ans pour gagner sa vie il exerce mille petits métiers aussi pittoresques que poignants.

            Dès l’âge de dix huit ans il connaît les jours colorés de la misère et s’encanaille dans les faubourgs populaires ; se mêle aux poètes de la bohème Montmartroise. La poésie le tenaille. En ses jours les plus noirs, sans logement, ou hébergés par des amis, il dort dans la rue, où il est ramassé en février 1889 a moitié mort et transporté à l’hôpital Lariboisière. *

            « Les soliloques du pauvre » en disent long. Une tranche de vie des crèves la faim qu’il a goûté.

 

            Remy de Gourmont, le poète des « Oraisons Mauvaises » a écrit :

 

            « Il y avait une rumeur du côté de Montmartre, quelque chose de nouveau surgissait d’entre la foule des diseurs de gaudrioles et de bonne aventure, quelqu’un pour la première fois faisait parler avec un abandon original et capricieux, le pauvre des grandes villes, le trimardeur parisien, le loqueteux en qui il reste du bohème, le vagabond qui n’a pas perdu tout sentimentalisme, le rôdeur en lequel il y a du poète, le misérable capable d’ironie, le déchu dont la colère s’évapore en malédiction blagueuse… 

            Le Socialiste en paletot et le Républicain en redingote lui inspirent un identique mépris et il ne conçoit guère comment les malheureux, doucement leurrés par les politiciens gras peuvent encore écouter sans rire la honteuse promesse d’un bonheur illusoire autant que futur… »

 

 

« Ainsi, r'gardez les empoyés

(Ceux d' l'Assistance évidemment)

Qui n'assist'nt qu'aux enterr'ments

Des Pauvr's qui paient pas leur loyer !

 

Et pis contemplons les Artistes,

Peint's, poèt's ou écrivains,

Car ceuss qui font des sujets trisses

Nag'nt dans la gloire et les bons vins !

 Les soliloques du pauvre

 

Pour euss, les Pauvr's, c'est eun' bath chose,

Un filon, eun' mine à boulots;

Ça s' met en dram's, en vers, en prose,

Et ça fait faire’ de chouett's tableaux »

 

……

 

Et Jehan Rictus n’épargne personne.

 

 

Ainsi, t'nez, en littérature

Nous avons not' Victor Hugo

Qui a tiré des mendigots

D' quoi caser sa progéniture

 

Oh !c'Iui.là, vrai, à lui l'pompon !

Quand pens' que, malgré ses meillons,

Y s' fit ballader les rognons

Du bois d' Boulogn' au Panthéon

 

Dans l' corbillard des « Misérables »

Enguirlandé d' Beni-bouff.Tout

Et d' vieux birb's à barb's vénérables.

J'ai idée qu'y s'a foutu d' nous

 

Et gn'a pas qu' lui; t'nez, Jean Rich'pin

En plaignant les « Gueux » fit fortune

………….

 

Ben, pis Mirbeau et pis Zola

Y z'ont « plaint les Pauves » dans des livres,

Aussi c' que ça les aide à vivre

De l'une à l'aute Saint-Nicolas!

 

Mêm' qu'Emile avait eun' bedaine

A décourager les cochons,

Et qu' lui, son ventre et ses nichons

N' passaient pus par l'av'nue Trudaine

 

Alorss, honteux, qu'a fait Zola ?

Pour continuer à plaind' not' sort ·

Y s'a changé en hareng saur

Et déguisé en échalas

 

            Jehan - Rictus prend soin de noter non sans humour que Zola affligé d’obésité avait du suivre un traitement qui l’avait réduit à rien !

 

            J’avais écrit un article précédemment sur Jean Richepin et ses poèmes sur les gueux, et il m’a semblé savoureux de mettre en lumière ici, le règlement de compte de ces deux gavroches, bien dans l’humeur de l’hiver !

 

            La virulence de Jehan - Rictus est amère, percutante, mais sans haine. Lui-même tente de sortir de sa misère en publiant ses poèmes, il les scande dans les cabarets, aux Quat’z-art, au Chat Noir…

            Décoré de la légion d’honneur en juillet 1933, comme Max Jacob ; le 6 novembre de cette même année il meurt sans aucun héritier.

 

            Il avait dit : « Le vers alexandrin est un cercueil dans lequel on a couché la poésie française ».


           
Remy de Gourmont qui mêlait provocation et mysticisme, succombait à l’odeur de l’encens et des fleurs, a reconnu le talent très particulier de Jehan Rictus qui usait de la forme octosyllabique musicale et dolente.

            « Il a créé un genre et un type, il a voulu hausser l’expression littéraire, le parler commun du peuple et il a réussi autant que cela se pouvait. »

            Et quand Jehan Rictus se glisse dans la peau d’une fille de joie, d’une fille perdue, cela donne :

                                            La Charlotte
                                                    prie Notre Dame
                                              durant la nuit du Réveillon.

* (Je vous invite à lire le commentaire n°12 posté par Christian qui cite des extraits du journal de Jehan - Rictus
                                                                                                           Hécate




Pour en savoir plus sur Jehan - Rictus: http://www.florilege.free.fr/jehan-rictus/#haut 
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12 décembre 2009 6 12 /12 /décembre /2009 21:15

cettevieCette vie
             de Karel Schoeman.








            « C’est sans importance, plus rien n’a d’importance, il ne reste plus qu’à attendre et peu importe qu’il fasse jour ou bien nuit. »

            « Mais que dis-je ? Les mots se bousculent dans ma tête et voici que seule, dans le noir, j’enfile les mots les uns derrière les autres, des mots que je ne pensait pas connaître, et que j’aligne, des phrases que jamais jusqu’ici, ma langue pâteuse n’a réussi à articuler. Pourquoi ? Mais pourquoi donc ? »

 

            Il y a des musiques dites de silence comme il y a du silence dans l’écriture narrative de ce roman. Une vieille femme se meurt et se souvient…
karel sch

            « Les morts, les morts sont moins morts que moi » dit un vers du poète Milosz…

 

          Milosz l’Enchanteur le lituanien, et Karel Schoeman, l’écrivain Sud–Africain, le désenchanté, qu’ont-ils en commun si ce n’est cette écriture de réminiscence, de solitude et de silence, celle d’un humanisme dépouillé et obstiné.

            Karel Schoeman solidaire du combat des noirs de son pays…


            « Le passé est un autre pays ? Où est la route qui y mène ? »

 
            Car les morts vont se lever et revivre à travers le long monologue d’une vieille femme à la frontière même de « Cette vie », comme si la finalité expliquait enfin et seulement le sens secret d’une existence vécue et coulée dans le quotidien des jours ordinaires.

            Un père qui lisait péniblement des passages de la Bible, savait signer son nom. Une mère jamais même vue avec un crayon à la main.

 

            « En ce temps-là en nos contrées il n’y avait pas d’école, et rares étaient parmi nous ceux qui avaient de l’instruction… »

 

            De nombreux précepteurs dont les noms ne furent pas retenus ont défilés dans la ferme familiale qui au fil des pages va se dessiner aux yeux du lecteur… Autant de tableaux, de scènes où l’éclat des voix viennent briser tout à coup le silence, le bruit du vent, celui des roues d’un chariot, le piétinement des bêtes.

            Une écriture de murmure, où chaque bribe de souvenirs laisse entrevoir le mystérieux comme un coup de vent qui soulève le bas d’une longue jupe sur la bottine d’une femme, révélait la grâce d’une cheville.


           
« Le passé est un autre pays... »

 

            Le 19ème siècle dans le Roggeveld, le vécu des non-dits, comme une braise qui couve au cœur des êtres, « Cette vie » de lambeaux de mémoire, celle qui tâtonne et fouille son passé, avec des sursauts, des élans, des retombées, comme une flamme dans l’âtre d’un foyer…celui qui fut le sien et qui va s’éteindre avec celle qui se meurt.

            Ultime lueur sur un vécu…

 

            « Etait-ce délibérément que les voisins ont recommencé à nous éviter après tous ces événements, ou bien ne se sentaient-ils pas les bienvenus chez nous ? »

            « Les mots ne servent plus à rien désormais, et l’on ne refait pas le passé… »

 

            Fin d’hiver dans le Roggeveld « lorsque les fleurs sauvages, seul luxe qu’ait jamais connu ce pays de misère, surgissaient soudain dans la lumière crue et le vent froid du printemps hésitant. »

            « J’étais seule souvent, et peu à peu au court de mon enfance, la solitude pour moi devint une habitude. »

 
            Une chanson entendue dont remontent les paroles :

« La tristesse et la douleur

   Oh, la tristesse et la douleur

   La plante qui m’en guérira,

   Elle pousse près de la source. »

 

            « Je restai à l’écouter…ce n’était qu’une des nombreuses chansons que Gert fredonnait en permanence en travaillant… »

 

            L’arrivée de Sofie : « Tu es ma petite sœur maintenant ! Elle ne devait pas être beaucoup plus âgée que moi, bien qu’elle fut déjà mariée… » « …dans la chambre il fallait allumer une bougie et Sofie, penchée devant le miroir où elle était en train d’attacher ses cheveux, se retourna vers moi ; dans le demi jour, dans l’ombre, dans l’obscurité de l’eau noire d’un lac, empêtrée dans les plis étincelants de sa lourde robe de satin noir, sa robe de mariée, quelle portait pour la première fois chez nous ce soir là, et tendit les deux mains vers moi. « Petite sœur viens m’aider » murmura-t-elle les yeux brillants d’excitation comme si elle désirait partager un secret avec moi, mais tout ce qu’elle voulait, c’était que je lui attache son collier de perles autour du cou, des perles aussi noires que sa robe qui miroitaient faiblement à la lueur de la bougie. « Ce sont des rubis »…me dit elle, chuchotant toujours… »

« Je n’avais rien vu d’aussi beau… »

 

            « Je ne voulais pas savoir encore… »

           

            « Jacomyn, née à l’époque de l’esclavage était devenue la domestique attitrée de Sofie…elle dormait tantôt dans la cuisine avec la vieille Dulsie, tantôt sur un petit tapis au pied du lit de Sofie… »

 

            « Personne ne m’avait rien dit ou expliqué… »

 

            « J’accomplissais mes tâches sans me poser de questions, sans attendre la moindre explication… »

 

            Dévidement de mots, de confidence proche de la monotonie dont la beauté de la prose soutient l’attention, avec simplicité, sans fadeur, dans l’effleurement de petits détails : filet dorée d’une porcelaine de grand-mère, une neige d’hiver, un troupeau de mouton, des chacals… Un vol de vautour dans un ciel… Le mystère qui se dérobe au détour d’une phrase…

           

« Que savais-je de la vie a quarante ans ? »

 

            Tant de pudeur dans cette intimité qui se révèle au crépuscule de « Cette vie », que c’est à peine si émerge la conscience de la souffrance tant elle a été enfouie dans l’intériorité des conflits que l’approche de la mort autorise.

 

            « Je me souviens que c’était la fin de l’automne, qu’il faisait très froid, que j’était allongée les yeux grands ouverts, contemplant le clair de lune…

            Je sais que je suis restée longtemps étendue ainsi à peser le pour et le contre sachant que c’était là ma dernière chance de fuir cette maison endormie… »

 

            « A la maison comme je l’ai dit, lorsque j’étais enfant, nous n’avions pas de miroir, aussi n’avais-je jamais eu l’occasion de voir mon visage. Dans les dernières années, je réappris à vivre sans miroir – je n’en n’avais d’ailleurs nul besoin, car je savais trop bien à quoi je ressemblais… »

 

            Ce livre publié aux éditions Phébus a obtenu le Prix du meilleur livre étranger.

            Karel Schoeman l’auteur de «La saison des adieux », « Retour au pays bien-aimé », «  En étrange pays » et de tant d’autres œuvres, a reçu des mains du Président Nelson Mandela en 1999 la plus haute distinction Sud – Africaine. En dépit de la reconnaissance de son talent et des multiples récompenses, il demeure toujours ce marginal solitaire et sauvage qui fuit interviews et photos, dans le vieillissement et le dénuement.

Hécate.


cettevie 4ème de couverture 



http://fr.wikipedia.org/wiki/Karel_Schoeman

 

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2 décembre 2009 3 02 /12 /décembre /2009 17:25

                                                                                                           Encre d'Hécate.



            « Pour échapper à l'oppression morne et terne de l'humidité et du froid, j'avais demandé une flambée de bois dans ma chambre.

……..

Féerie presque irréelle, évocation d'un monde d'où toutes les espèces terrestres sont absentes, inhabitable au végétal comme à l'animal et à l'homme, propice seulement à des créatures mythiques, les dragons et les salamandres. Les bûches s'effondraient en craquant, des bouquets d'étincelles jaillissaient, et de longues flammes dansaient avec une langueur sauvage, tantôt frénétiques de brutalité, tantôt lourdes de mièvres séductions. Elles ne semblaient guidées que par l'esprit fantasque et fastueux du jeu, enchaînées à la misérable agonie des morceaux de bois, et nerveuses comme des captives s'agitant avec toute la grâce d'une lutte inutile entre les mains calcinées de leur bourreau.

……….

La nuit était venue. Il n’y avait pas d’autre lumière dans la chambre que celle du foyer. J'entendais la pluie battre en lourdes rafales contre les vitres, comme si le monde ennemi du feu, celui de la lourdeur, de l'humidité, de la vulgarité molle et sans accent eût menacé et tenté d'étouffer la fragile magnificence du petit brasier. Comparé à ce qui l'entourait, ce feu hostile et inhumain me semblait alors doué de toutes les grâces de l'esprit. Je l'aimais pour sa beauté si brève, pour sa force réduite à l'essence même des choses, pour sa puissance à détruire, comme si une faim mystique l'animait, et un besoin d'absolue pureté le condamnait à effacer, de la terre, tout ce qui ne peut se résoudre en lumière, en énergie. 

……….

            A quoi bon écrire, d'ailleurs, quand il existe d'autres remèdes, plus efficaces, au malaise de vivre? Moi, j'ai tellement écrit que je n'ai plus eu le temps de faire autre chose, et j'ai tout transformé, passions, événements de flammes et de sang, désirs, remords, en une espèce d'herbier où tout se desséchait entre deux feuilles de papier. »

 

« LA FOLIE CÉLADON »

MARCEL BRION (21 novembre 1895 / 23 octobre 1984.)

EDITIONS ALBIN MICHEL

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15 novembre 2009 7 15 /11 /novembre /2009 15:34










Qui est donc
Barbey d’Aurevilly ?





Qui est donc Barbey d’Aurevilly ?

 

            Un écrivain qui n’eut pas un grand avenir, mais entre tous les gens de lettres de son époque, le plus étrange peut-être, le plus vivant à coup sur, le plus fantasque, le plus coquet d’originalité, feinte ou vraie.

 
            Il entre dans la vie par une porte spectaculaire !

            Jules Amédée Barbey d’Aurevilly  naît le 2 novembre 1808, le jour des morts, lors d’une partie de carte 10 mois après le mariage de ses parents, à St Sauveur le Vicomte dans la Manche. La mère de Jules, intelligente, mondaine est peu affectueuse avec lui. Elle aura quatre fils en quatre ans. Il ne manque pas de dire, en, homme qui a conjointement le culte et l’angoisse des souvenirs « Les spectres de la vie sont les souvenirs ».

 

            Barbey reconnaîtra posséder une mémoire infernale, hypertrophique et que très jeune, il a cherché dans l’écriture une soupape à certaines idées qui l’obsédaient et qu’il a, dans la création trouvé une diversion à un arrachement qui le faisait souffrir.

 

            Il se décrira lui-même dans une lettre adressé à son ami Trebutien comme un homme décrié pour les mœurs fougueuses de sa jeunesse, comme une espèce de fragment mêlée de foudre mêlée à de l’argile.

 

            Non sans raison, il se voit comme une espèce de phénix des inimitiés. Il n’accepte pas seulement de s’être fait des ennemis, il se targue d’en avoir ; le luxe de les braver, et de les mépriser calmement avec délices, comme un dandy toise la bêtise et sourit à l’envie.

 

            D’ailleurs il exprimera son ressenti ainsi :

« Ma parole faisait aux esprits médiocres, escarbouillés d’étonnement, absolument le même effet que mes gilets écarlates… Cela leur donnait des ophtalmies…des jalousies enragées. »

 

            Quelques années plus tard, il semble n’avoir pas varié car on trouve sous sa plume cette constatation :

 « Partout où je parais – à l’instant même – je trouve toute la bêtise humaine ; - une forte armée ! Debout et en bataille contre moi. »

 

            Evidemment si on se ravise aux déclarations du patelin Monsieur Ste Beuve :

« Monsieur Barbey d’Aurevilly est un homme d’esprit, mais un écrivain sans autorité… il est si compromettant que si j’étais bon catholique, je ne me féliciterais pas de l’avoir pour défenseur : ce ne sont pas des défenseurs, ce sont des souteneurs que pareille gens. Un fond d’infection de goût et de mœurs perce à travers tout ce brillant qu’il affecte et tous ces flots d’eau de senteur dont il s’inonde. Il a l’amour – propre puant, il l’a ridicule. Dans un temps où rien ne paraît plus ridicule, il a trouvé moyen de le redevenir. Un homme sensé rougirait de traverser Paris avec lui ; même en temps de carnaval ! »

 

            Barbey toute sa vie demeurera outrancièrement Jeune – France et il s’en glorifie. Il affiche, non seulement un choix de couleurs provocantes et propres à épater le bourgeois, mais encore un luxe de produits de beauté qui étonne l’œil autant que l’odorat. Goncourt exaspéré a noté d’une plume assassine :

 « A 67 ans, il apparaît comme un personnage de Byron, un Lara joué à Montparnasse…. Les conceptions esthétiques de Barbey, choquent le goût du jour. »

 

Mais qui est donc Barbey d’Aurevilly ?

            « Vous êtes un beau palais dans lequel il y a un labyrinthe »
lui dira dans un salon, Eugénie de Guérin. Formule saisissante, que Barbey a parfois retournée quand il la citait, mettant le palais dans le labyrinthe. N’a-t-il pas ajouté dans des écrits intimes « que ce palais était également un hypogée, et que dans son labyrinthe très souterrain mainte porte donnant sur le passé a été un jour condamnée par le taciturne châtelain, que bien des issues vers l’avenir, elles aussi, se sont éboulées… Ce ne sont point des images à plaisir. »

 

Qui est donc Barbey ?

 

            Tout d’abord un enfant mal aimé de sa mère, qui lui préfère ses trois frères. Il se voit laid, lui qui aura toute sa vie le culte de la beauté sous toutes ses formes.

« Une éducation compressive avait pesé sur moi sans me briser », écrira – t – il.

            Précoce sur le plan de la sensibilité et de l’écriture. Fier et passionné, solitaire aussi, révolté contre Dieu qui a permis la laideur.

 

            A douze ans, il discute spéculation et métaphysique avec son cousin de 19 ans. Et déjà il s’enflamme d’amour pour sa cousine et lui compose un ardent poème. Ce premier émoi est si intense qu’il ne pourra jamais l’oublier.

            Comme ses trois frères, Jules Barbey est confié à un précepteur en 1816, son admission dans une école militaire demandée par son père ayant été refusée. Ensuite, il semble qu’il poursuive ses études au collège de Valognes. Il habite alors chez son oncle, esprit hardi et vigoureux qui l’aide à se libérer de l’influence paternelle.

 

            A 21 ans, ce seront des études de droit à Caen. A 25 ans, il part pour Paris en dépit de l’opposition familiale. Il a hérité de son parrain. Il part donc quand même, avec l’idée d’être journaliste et écrivain. « Rien de ce qu’écrit Barbey n’est barbant ! » dit-il lui-même. Hélas… il brûle par dépit un volume de vers que personne ne veut publier. Ses poésies, seront rares, pareilles à des gouttes de sang…

            Il note dans son mémorandum, en 1836 que « tordre le cœur épuise les larmes de l’enfant ».

 

            Très vite il se reconnaît sensuel, d’imagination comme de sang. Il a, par hasard, un jour lu Byron. C’est une fraternité qu’il trouve auprès du créateur de Manfred, de Lara, du Corsaire. Que de fois il se référera à Byron pour son propre comportement, la sublimation de ses états d’âme.

 
            L’année 1830 est celle de la grande épreuve sentimentale et passionnelle de sa vie.
            Il rencontre Louise Cautru des Costils, une jeune fille de 19 ans fiancé à un homme de 13 ans plus âgé qu’elle. Durant huit années, cet amour va hanter, labourer l’âme de Barbey.
            Le charme, les éblouissements, les angoisses et les renouveaux de cet amour pénètrent sans cesse les journaux intimes.

 

            La famille Barbey est finalement instruite par des âmes charitables du scandale de cette liaison. On somme le fils pervers de partir se faire oublier à Paris. (Il faisait à ce moment des études de droit à Caen). Deux fois il sera reçu au château conjugal. 

            Le début de cette liaison est marqué de révoltes frénétiques tant les deux amants se heurtent à tous les murs de leur cachot social. Blessé ulcéré que Louise ne parte pas avec lui sans réfléchir ni hésiter à tout laisser pour lui, Barbey laisse l’amertume transparaître à travers ce qu’il écrit. Sans cesse entre doute et ravissement. Barbey est emporté, extrêmement passionné. Louise est blessée à son tour dans sa fierté par les reproches.

 

            La souffrance est trop violente, pour Jules Barbey. En mars 1838 il écrit :

 « Reçu une lettre d’elle qui s’afflige de ne pouvoir venir. – La vie pour un jour, un seul jour avec cette femme est-elle donc à jamais impossible ? »

 

 

            Du 11 au 19 septembre, Barbey interrompt son journal intime. Quand il reprend, après la rupture c’est pour noter :

« Le souvenir se charge du passé et nous emporte l’image. La dernière chose que j’estimais dans cette âme y a été brisée et flétrie ; je suis plus libre, mais à quel prix ? »

 

            Il va traverser une période amère ou il fustige le règne de la femme et tient des propos misogynes. Il est cinglant.

 « Les femmes s’attachent comme des draperies, avec des clous et un marteau. »

 

            Barbey va se murer et compléter son système de défense, à l’égard des hommes et du monde. Adhérant au dandysme, car le dandy est un être que son ironie rend secret, invulnérable, il jette sur le papier que « l’ironie est un genre qui dispense de tous les autres », il signe même une lettre, est ce par jeu par prescience ? « – Votre ami, le prince des ténèbres ».

 

            Sa vie s’écoule partagée entre la Normandie et Paris, entre publications et articles dans divers journaux. Sa santé trébuche, se relève. Il tient bon, tantôt reclus, tantôt sortant très tard.


            Barbey est toujours trop ! Trop conservateur en politique, trop diabolique dans ses romans, trop provocant dans son apparence, trop éblouissant quand il parle, et même trop généreux tant il sait se dépenser pour ses amis. Sous le masque effrayant qu’il se compose se cache un cœur d’or. Difficile de concilier les amitiés. Une brouille avec Trébutien, son ami depuis 7 ans survient. Stupidement Barbey a trop insisté pour la publication des poèmes de Maurice de Guérin chez un bon éditeur. Il défendra « Les fleurs du mal » et plaidera pour Baudelaire, comme pour lui.

 

           En 1851, publication « d’Une vieille maîtresse » Trébutien réagit. Barbey fulmine :

« Ah ! La Vellini ne vous plaît pas ! Le catholique n’accepte pas la bohémienne, baptisée pourtant ! Et vous avez vu du danger dans tous ces tableaux. Le catholicisme est la science du bien et du mal. Il sonde les reins et les cœurs, il regarde l’âme : c’est ce que j’ai fait. »

 
            Il va rencontrer la baronne Emilie de Bouglon, 30 ans veuve depuis 2 ans, mère de deux enfants. L’ange blanc la madone du missel, n’a dit-elle, jamais aimé.


            Barbey va demander en mariage l’Ange blanc. Mais il ne veut pas se marier tout de suite. Il ne veut rien devoir et tient d’abord à rembourser ses dettes. Madame de Bouglon est une amoureuse des plus pondérée. Femme mûrissante et réaliste partagée entre sa tendresse et l’avenir de ses enfants. Elle ne se donne pas à Barbey. Son scepticisme en matière de sentiment va désormais se condenser :

« Saigne, saigne mon cœur… saigne ! Je veux sourire. Ton sang teindra ma lèvre et je cacherai mieux dans sa couleur pourpre et dans ses plis joyeux la torture qui me déchire. »

 

             En 1862, les fiançailles sont compromises. La tristesse de perdre sa fille nouvellement mariée, lui fait, dit-elle repousser ce projet à plus tard. Les moyens financiers de Barbey baissent. Il cache ses besoins sous l’insouciance dans les salons. Il s’adosse à une cheminée sa pose favorite soit vêtu d’un habit noir rehaussé d’une mousseuse cravate de dentelles, soit en grande tenue c'est-à-dire pantalon noir, collant, gilet très évasé en velours bleu ciel. Parement de l’habit en velours noir. Cravate de satin blanc bordée d’une dentelle d’or. Même dentelles aux manchettes de sa chemise, quand aux boutons, simulant le diamant, ils sont si gros que un de ses contemporains le voyant ainsi s’exclame :

« Mon cher, ils sont si gros…si gros que…même en strass ce serait une fortune ! »

 

           A 74 ans, il n’hésite pas encore à se vêtir ainsi. Tout autre que lui serait ridicule en cet accoutrement. Lui est superbe ; même si les opinions sont diverses. Avec sa silhouette élancée et fière, son expression hautaine et perçante, il apparaît plus séduisant qu’autrefois. La coexistence de sérieux et d’extravagance ajoute à son impressionnante prestance.


            Quand il a rencontré Louise Read, il avait 70 ans et elle 35. De suite elle s’enthousiasme comme une jeune fille. De sa générosité, de son esprit étincelant. Elle se propose comme secrétaire Barbey n’est pas pressé. Progressivement elle va s’occuper de tout. L’ancien dandy si exigeant est devenu facile à vivre. Il est pauvre, mais homme d’honneur.

 

            Depuis 1860 par économie, il vit au 25 rue Rousselet à Paris, dans un modeste appartement de 2 pièces qu’il occupera jusqu'à sa mort. Les milieux catholiques lui font toujours des difficultés, l’archevêque de Paris interdit de mettre en vente l’édition « d’Un prêtre marié ». Barbey ne s’en étonne pas :

« Quand on est catholique, on ne doit compter que sur Dieu seul ! »

 

            A 80 ans il s’amuse encore beaucoup de flirts platoniques. Il est si bien conservé. Il fait tout pour l’être. Il possède une physionomie ruinée et superbe. Son front est large, le nez impérieux comme un bec d’aigle, la bouche amère au repos, mais très vite sinueuse d’une parole éloquente et précieuse, rire sifflant ou sonore sans vulgarité !

 

            Quand elle apprend que celui qu’on à surnommé tour à tour, le Connétable des lettres, le Prince des dandy, le Roi des ribauds, le Pirate passionné, est malade, Madame de Bouglon se remanifeste… pensant surtout aux droits d’auteur.

 

            Elle redoute que Louise Read intrigue. Atterré, Barbey fait un testament officiel. Il lègue propriété de ses romans à Raymond de Bouglon. A Melle Read tout le reste ! Madame de Bouglon s’y oppose. Il ne s’agit pourtant que des droits d’auteur, Barbey est pauvre. Un ultime testament de Barbey désigne Louise Read comme légataire universelle.

 

            La baronne furieuse écrit à Barbey qu’il est un homme finit. Celle qu’il nommait son Ange blanc donnera  le coup de grâce. Barbey reçoit d’elle un télégramme et tombe terrassé par une hémorragie. Personne ne connaîtra le contenu du télégramme, Louise Read prétendra l’avoir brûlé. Vomissants du sang, entre deux syncopes Barbey trouve l’élégance de lire des vers, de raconter des histoires.

            Il meurt au matin du 23 avril 1889.

 

            « L’amour ne sait que se regarder dans les yeux qu’on aime » avait noté Barbey, toute sa pensée tournée vers son Ange blanc. Hélas, la baronne refusera de venir lui dire un ultime adieu. Son cercueil est déposé dans le caveau des Reads, avant d’être transféré près de son frère Léon à St Sauveur.

 

            Louise Read finira les publications et se dévouera à sa gloire.


            Ce même mois d’avril 1889, alors qu’il corrigeait les épreuves d’un poème en prose écrit 54 ans auparavant, il ajoute une note essentielle pour bien le comprendre finalement :

« Quand il écrivit ses pages l’auteur ignorait tout alors de la vie. L’âme très enivrée alors de ses lectures et de ses rêves, il demandait aux efforts de l’orgueil humain ce que seuls peuvent et pourront éternellement –  Il l’a su depuis – deux pauvres morceaux de bois mis en croix. »

 

            Il avait répondu ainsi en 1854 lorsqu’il fut sollicité par Monsieur Dessé qui voulait rédiger un article biographique sur lui :

« Je me soucie peu de la gloire des biographies. La mienne est dans l’obscurité de ma vie. Qu’on devine l’homme à travers les œuvres si on peut. J’ai toujours vécu dans le centre des calomnies et des inexactitudes biographiques de toutes sortes, et j’y reste avec le plaisir d’être très déguisé au bal masqué. C’est le bonheur du masque qu’on ôte à souper avec les gens qu’on aime. »

 

            Barbey demandait d’être vu dans sa vérité. Seule réserve : ne pourront la voir que ceux qui en sont dignes. Les autres,  il les méprise… et essaient de ne pas se désoler de leurs fausses visions.


 

            Lorsque B. d’Aurevilly écrit « Une vieille maîtresse » qui comporte environ quatre cent pages, il vient de vivre une période des plus importantes de sa vie. Une femme dont il tente de se libérer, vraisemblablement au moment où il a commencé à l’écrire…  « Toute la journée se passe étendu sur des coussins devant un feu de démon, travaillant jusqu’au moment où les nerfs de ma tête deviennent des tire-bouchons anglais… ».

 

            Le héros du roman, Ryno de Marigny dandy libertin s’était épris malgré lui d’une femme, la Vellini.  Sur le point de se marier avec la pure Hermangarde, il fait confession de cette passion à sa future belle-mère la Marquise de Flers.


            L’extrait de lecture se situe au moment où Ryno évoque le duel avec le mari de la Vellini, un Lord anglais, et où blessé gravement, va éclore cette passion tumultueuse avec celle qui va devenir sa maîtresse et, qui surgit dans sa chambre où il est confiné… 


 

 

Hécate.

 

Œuvres romanesques :

 

Le Cachet d’Onyx, composé en 1831

Léa, 1832

L’Amour impossible, 1841

La Bague d’Annibal, 1842

Le Dessous de cartes d’une partie de whist, 1850 (reprise dans les Diaboliques)

Une Vieille Maîtresse, 1851

L’Ensorcelée, 1852 (sous le titre de La Messe de l’abbé de La Croix-Jugan), 1855

Le Chevalier Des Touches, 1863

Un Prêtre marié, 1864

Le Plus Bel Amour de Don Juan, 1867 (reprise dans les Diaboliques)

Les Diaboliques, 1874

Une Histoire sans nom, 1882

Une Page d’histoire, 1882 (sous le titre Retour de Valognes. Un poème inédit de Lord Byron), 1886

Ce qui ne meurt pas, 1883

 

Œuvres poétiques :

 

Ode aux Héros des Thermopyles, 1825

Poussières, 1854

Amaïdée, 1889

Rhythmes oubliés, 1897

 

Essais et textes critiques :

 

Du Dandysme et de Georges Brummel, 1845

Les Prophètes du passé, 1851

Les Œuvres et les hommes 1860-1909

Les quarante médaillons de l'Académie, 1864

Les ridicules du temps, 1883

Pensées détachées, Fragments sur les femmes, 1889

Polémiques d'hier, 1889

Dernières Polémiques, 1891

Goethe et Diderot, 1913

L'Europe des écrivains (recueil d'articles rassemblés en 2000)

Mémoires, notes et correspondance

Correspondance générale (1824-1888), 9 volumes de 1980 à 1989

Memoranda, Journal intime 1836-1864

Disjecta membra (cahier de notes)

Omnia (cahier de notes)


 

Mémoires, notes et correspondance :

 

Correspondance générale (1824-1888), 9 volumes de 1980 à 1989

Memoranda, Journal intime 1836-1864

Disjecta membra (cahier de notes)

Omnia (cahier de notes)

 

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25 octobre 2009 7 25 /10 /octobre /2009 12:16

La mort propagande

 

            « …Mon corps est un laboratoire que j’offre en exhibition, l’unique acteur, l’unique instrument de mes délires organiques. Partitions sur tissus de chair, de folie, de douleur. Observer comment il fonctionne, recueillir ses prestations. Toutes mes expressions. Tout ce qui peut en jaillir, gicler. Tout ce qui m’ahurit. A l’issue de cette série d’expressions, l’ultime travestissement, l’ultime maquillage, la mort. On la bâillonne, on la censure, on tente de la noyer dans le désinfectant, de l’étouffer dans la glace.

 

            …Moi je veux lui laisser élever sa voix puissante et qu’elle chante, diva, à travers mon corps. Ce sera ma seule partenaire, je serai son seul interprète. Ne pas laisser perdre cette source de spectaculaire immédiat, viscéral ; me donner la mort sur une scène, devant des caméras… donner ce spectacle extrême, excessif de mon corps en décomposition, jour après jour, éclaté sous le feu, étalé, cloué, exposé, mimant le supplice des cents morceaux dans un jeu de masque chinois. »

 



             Guibert, c’est un narcisse qui brise son reflet à coup de scalpel, il se violente, se viole. Il a vingt et un ans. Un ange. Une brutalité de voyou. Une arrachée de douceur retournée comme un gant sur la saignée du poignet. L’œil du photographe.

 

            Ma rencontre avec Guibert : dans une bibliothèque. Une plongée dans le chaudron des hargnes, des mesquineries, de l’abjection ordinaire. Cette rencontre avec l’écriture d’Hervé Guibert m’a révulsée, peut-être alors. « -Vais-je continuer à lire ? » Il y a des enfers de froideur qui gèle le recul. Impossible de faire page arrière !

 

             Parmi les centaines de livres empruntés, ceux de Guibert ne sortirent jamais de ma mémoire.

            Comme un tatouage dans la peau. Une vieille cicatrice cousue avec des mots en partie oubliés ; mais pas ce qui émanait de l’essence sauvage de son implacable et abrupte style.

 

            Je ne savais pas qui était Hervé Guibert. Un nom. Un titre. Des titres sur des couvertures… Rien d’autre. Je ne savais pas qu’il allait être atteint du SIDA, qu’il allait en mourir, qu’il aurait l’impudeur de filmer un simulacre de suicide. Je ne savais pas que  cette « Mort propagande » que je viens de lire, était une fiction prémonitoire de sa mort, de son suicide manqué, peu avant que cette mort ne l’emporte.

 

             J’ai lu Guibert. « Des aveugles »…puis avec des pauses « Le protocole compassionnel » qui m’en apprit un peu plus ainsi que « A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie ». Puis aussi le hasard, ici et là, dans une librairie, des bribes chapardées au « Mausolée des Amants » où la vie est cette horreur merveilleuse. Guibert m’a semblé être un paroxysme de froideur alors… Ami de Chéreau, il participera au scénario de « L’homme blessé ».

 

             Avec « La mort propagande », il éructe, et crie, il pleure, il étale les mots comme des pièces de boucherie. Il viande son âme, sa corporalité. Anatomiste de l’intime, du crachat, de l’obscène. Extrême. Si extrême de crudité, que j’hésite à citer ici certaines phrase. Sperme, godemiché acheté dans un sex-shop de Pigalle…urinoirs, carrelage où la jouissance de sa mère à travers la culotte de dentelle est avalée par la sciure sous ses yeux d’enfant.

 

Onzième chapitre :

La mort propagande

(Une seule représentation).

 

            « Et de tes ossements je fais des parures. Ta peau découpée, déchiquetée te fait des chapeaux compliqués, des voiles, des tulles qui recouvrent ton visage et s’accrochent sur la circonférence de ton crâne. 

…Et si je suis fou, on me percera le crâne, on me cisaillera le front, on ma trépanera. Où on me fera avaler une potion qui me fera chier tous les démons qui m’habitent. »

 

Dernier chapitre :

Cinq tables de marbre

 

            « Cinq tables de marbre alignées parallèles, cinq éviers, au bas le tuyau de douche, lave à grande eau, la table inclinée, concave, pour laisser couler jusqu’à la rigole, le jour par des fenêtres hautes, la tête et les pieds emmaillotés, ficelés dans le linge, le pied dépasse, serré autour d’un fil d’acier, papier à œillet sur lequel est inscrit un numéro, rituellement on fait un constat, on approche de mon visage renversé, de ma bouche un miroir dont c’est le seul usage, on me sectionne une artère pour voir la couleur du sang, plus sombre presque noir, pour voir s’il est encore jeté du cœur… »

 

            « A la faveur d’un déménagement, j’ai mis un peu d’ordre dans mes dossiers. J’y ai retrouvé, surtout dans des cahiers, des choses que j’avais écrites quand j’étais très jeune, que je n’avais pas mises au propre, et que j’avais complètement oubliées, comme si elles avaient été écrites par un autre que moi, un être plus rare, plus pur que moi, ce jeune Guibert qui me faisait le cadeau, par ces textes, de me faire croire qu’il était resté moi-même, ou que j’étais resté lui-même, que nous n’étions qu’une seule personne. » (Quatrième de couverture de l’édition de 1991 « Protocole compassionnel ».)

 

             Alors, lire, ne pas lire ce livre où affleure une roseur de pudeur, épanouie sous les excès de jouissance ? Je ne sais. Je ne sais que dire…

            Ce ne sont point là des choses que l’on ose… Car entrer dans cette écriture, c’est comme prendre un mort dans ses bras…

 

            Hervé Guibert n’est plus là… mais sa mort est là… arrachée vive… et livrée… dans les pages de ce testament écrit à vingt et un ans, quinze années avant sa dramatique finalité…


Hécate.

 

BIBLIOGRAPHIE

 Hervé Guibert (1955 – 1991)


La Mort propagande
, Paris, Régine Deforges, 1977, collection Le Livre de Poche, 1991.

Nouvelle édition complétée l’arbalète galimard 2009.

Suzanne et Louise, Paris, Éditions libres Hallier, 1980. Réédition, Gallimard, Paris, 2005.

L’Image fantôme, Paris, Minuit, 1981.

Les Aventures singulières, Paris, Minuit, 1982.

Voyage avec deux enfants, Paris, Minuit, 1982.

Les Chiens, Paris, Minuit, 1982.

L’Homme blessé, Paris, Minuit, 1983.

Les Lubies d’Arthur, Paris, Minuit, 1983.

Le Seul Visage, Paris, Minuit, 1984.

Des Aveugles, Paris, Gallimard, 1985, collection Folio,1991.

Mes Parents, Paris, Gallimard, 1986, collection Folio, 1994.

Vous m’avez fait former des fantômes, Paris, Gallimard, 1987.

Les Gangsters, Paris, Minuit, 1988.

L’Image de soi, ou l’injonction d’un beau moment, (avec Hans Georg Berger) Bordeaux, William Blake & Co., 1988.

Mauve le vierge, Paris, Gallimard, 1988.

Fou de Vincent, Paris, Minuit, 1989.

L’Incognito, Paris, Gallimard, 1989.

A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Paris, Gallimard, 1990.

Le Protocole compassionnel, Paris, Gallimard, 1991.

Mon valet et moi, Paris, Seuil, 1991.

Vice, Paris, Jacques Bertoin, 1991.

Cytomégalovirus, Journal d’hospitalisation, Paris, Seuil, 1992.

L’Homme au chapeau rouge, Paris, Gallimard, 1992.

Le Paradis, Paris, Gallimard, 1992.

La Pudeur ou l’Impudeur, TF1, 30 Jan. 1992.

Photographies, Paris, Gallimard, 1993.

La Piqûre d’amour et autres textes, suivi de La Chair fraîche, Paris, Gallimard, 1994.

Vole mon dragon, Paris, Gallimard, 1994.

Lettres d’Égypte : du Caire à Assouan, 19.., Arles, Actes Sud, 1995.

Enquête autour d’un portrait (Sur Balthus), Paris, Les Autodidactes, 1997.

La Photo, inéluctablement, Paris, Gallimard, 1999.

Le Mausolée des amants, Paris, Gallimard, 2001.

Les Articles intrépides, Paris, Gallimard, 2008.

 

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7 octobre 2009 3 07 /10 /octobre /2009 15:16


  Fado un chant
     qui pleure
        sans larme...


             Fado un chant qui pleure sans larme « pour une larme de toi, je me serais laissée tuer » paroles d’un fado…


            Des notes acides, les grains d’un chapelet, une gorge renversée d’où jaillit l’ailleurs de la nostalgie, l’attitude du fadista, altitude d’un autre bonheur, celui d’être triste par-delà la mélancolie, miroir perdu d’une joie envolée, d’un amour enfui, comme une mouette sur la mer de paille… 

            Le fado a son histoire… et le fado la chante, la joue, la berce, la danse aussi. Entre tendresse, cri et murmure. Controverse des origines… Populaire et royal. Chant de la mer, chant du vent, du sud ou du nord, des maisons de plaisir, celle ou les femmes du fado « ou femmes de la fatalité ». Telle la « Severa » devenue une légende dorée.
Morte à vingt six ans, aujourd’hui encore le quartier de la Mouraria dans ses venelles présente au sol des pavés noirs et blancs dessinant une guitara, hommage à l’expression sublime de sa voix lente comme une caresse.


            D’autres fantômes de ce dix-neuvième siècle, Umbelina l’Aveugle, Gertrude la vendeuse de châtaignes chaudes surnommée « la noire au bandeau ». Rita, démone d’un coupe-gorge, repaire de voleurs et de malfaiteurs. Marginalité urbaine et aristocratique, le fado est partout… et nulle part. Inédit et décalé.


            En dépit de son entrée dans les salons, le fado incarnait le danger. « Le chant du fadiste est lui-même présenté comme une excroissance méprisable, comparable à celle d’un animal. Il évoque le chant d’un loup lancé au clair de lune », la voix brisée dans le larynx.


            Fado, frontière des genres.

  
            Dialogues de chanteurs qui rivalisent d’improvisations, jeux de mots, de moquerie. Quand un premier vers du fado annonce :
 « Je vais te dire ».
Une autre voix rétorque parfois,
« Je ne veux pas le savoir »…

            Fado, l’amour, une folie nécessaire.

« Ils vivent d’amour, laisse-les vivre ainsi
  

Laisse-les en paix, car ils sont fous  

Ils sont fous comme nous le sommes encore

Ils aiment comme nous aimons toujours. »

(Mario Rainho, José Luis Gordo)

 

            Le chant, un remède à la souffrance.

 

« Que Deus me perdoe »

« Si mon âme opaque pouvait montrer  

Ce que je souffre en silence

Si seulement

Je pouvais raconter »

(Silva Tavares)

 

            « Je chanterai jusqu’à ce que la voix me fasse mal »

            Le fado, comme ami et remède. Une thérapie des maladies de l’âme. (Alberto Pimentel) Cependant ces vers très populaires soulignent ce caractère d’innéité du fado qui ne peut, ni s’apprendre, ni se choisir.


« N’est pas fadiste celui qui le veut

Est fadiste celui sur qui ça tombe. »

(Rodriguo de Mello).

 

            Saudade, délivrance du temps. La « Saudade habite la mer » dit une morna du Cap Vert. Les frontières perdues sur l’échelle du temps se réinventent et bercent de plaisir ce qui pourrait être de la tristesse.


« Aux heures de notre vie

Chaque heure et une minute.»

(Antonio de Bragança.)

 

            L’illettrisme du fado, côtoie les plus grandes plumes de la poésie, de Camoens à Pessoa. Après les jours sombres de la dictature, le fado est une renaissance…

            Il y a le fado de Lisbonne.

            Il y a le fado de Coïmbra, celui qui s’élance du cœur amoureux d’un étudiant sous le balcon de celle qu’il aime et qu’il veut charmer.

 

            Pessoa encore qui a su dire si bien ce qu’il en est du fado, cette lecture de la vie.

« Ainsi, le chant des peuples triste est gai.

            et le chant des peuples gais est triste. 

Le fado, quant à lui, n’est ni gai ni triste,

            C’est une période d’intervalle. »

 

 

            Je n’ai pas besoin de comprendre les mots pour aimer ainsi le fado, il m’a murmuré très tôt quelque chose d’indicible qui palliait un manque, lequel, je ne sais le dire. Le fado et moi, est une longue histoire silencieuse. Et ce livre, n’a pas détruit les rêves construits autour des violes et des guitares et des brisures de ces voix étranglées sur des sanglots avortés…

              Dois-je compter les enregistrements multiples glanés aux long des années ?...Non…

 

            Ce livre est complétude. Il est accompagné d’un CD qui offre un survol… de ce qu’est aussi le fado… De nombreux textes sont traduits à qui ne sait la langue portugaise et veut pénétrer plus au profond…jamais ennuyeux on peut en tourner les pages, parcourir au hasard, comme on lirait un roman, le roman du fado et son histoire…


            Entrer en Fado, c’est partir en voyage…celui qui se fait en fermant les yeux…ailleurs, ici, maintenant, l’instant… l’envol.


« Si une mouette venait

M’apporter le ciel de Lisbonne

Dans le dessin quelle ferait

Dans ce ciel où le regard

Est une aile qui ne vole pas

S’évanouit et tombe à la mer…»

 

(Alexandre O‘ Neill)


Hécate

 

 
Edition: Chandeigne 2009.

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20 septembre 2009 7 20 /09 /septembre /2009 17:49






Chez les fous

Albert Londres

 

            Une anecdote qui ne s’invente pas : j’étais à réfléchir à cet article dans un transport en commun, quand mon attention se trouva attirée par la personne assise en face de moi. Une femme avec un beau visage comme celui des madones pâli par la pénombre des églises, les cheveux tirés en arrière en un chignon serré.

            Tout à coup cette dame comme absorbée dans ses pensées, grave et tranquille se mit à bouger les lèvres. Des mots inaudibles s’échappèrent à la cadence monotone d’une prière. Je n’avais pas remarqué un grand sac en plastique posé sur ses genoux d’une marque que je ne citerai pas, mais qui a quelque rapport saugrenu avec le pseudonyme dont je signe mes articles:
            Hécate, dans l’antiquité était sensée être placée à l’embranchement des voies.

 

En grosses lettres publicitaires, je pouvais lire :

« En agissant

Ensemble

On agit

Vraiment ».

 

            Très visiblement cette personne n’avait nullement conscience de la présence des passagers autour d’elle, pas même de mon regard hypnotisé par ses gestes qui par saccades se mirent à frotter le dessous de ses paupières, puis à malaxer le plastic du sac, pour sauter après à son front comme s’il était attaqué subitement par quelque insecte. Ainsi continua-t-elle à soliloquer, hochant la tête spasmodiquement.

            J’étais là, saisie, à ne pouvoir la quitter des yeux comme si elle surgissait tout droit des pages du livre d’Albert Londres que je venais de parcourir.
            Avec qui parlait-elle ainsi, les yeux perdus, fixés sur des êtres absents ?...


            Je faillis manquer mon arrêt, tant elle était digne et sérieuse en dépit de cette agitation dont les intervalles d’immobilités me sidéraient autant que leur cessation subite.






            « Notre devoir n’est pas de nous débarrasser du fou, mais de débarrasser le fou de sa folie.

Si nous commencions ? »

 





            En huit chapitres, Albert Londres le prince des reporters plonge en plein cœur de ce qu’on nomme la folie.

            D’une plume à rendre jaloux les maîtres du suspense, cet humaniste à l’âme de poète dresse là le plus stupéfiant récit qui soit.

            Publié en 1925, ce texte est d’un style d’une modernité incroyable. Rapide, efficace, imagé, il brosse des scènes qui prennent à la gorge, coupent le souffle ! Pathétiques et horrifiques.

Aucun temps mort, un livre fou !


            « Je ne suis pas fou ! Du moins pas visiblement, mais j’ai désiré voir la vie des fous. Et l’administration française ne fut pas contente. Elle me dit : Loi de 38, secret professionnel, vous ne verrez pas la vie des fous. »


            Le ton est donné ! Et voilà comment débute l’aventure de ce reportage dont rien ne nous est caché avec une drôlerie féroce, une tendresse humoristique qui annonce celle de Desproges.

Un livre fou !

            Débordement de sensations qui étranglent d’émotion. Aucun temps mort. Albert Londres camisole ses lecteurs si j’ose me permettre…


Un aperçu… les titres des chapitres :

 

  • On a pas voulu de moi.
  • Le fou à domicile.
  • Un quartier d’agités

    Chapitre III.

On m’avait ouvert une cour d’agités.

 

-         Restez-là, les gardiens sont prévenus. Afin de ne pas être pris pour un procureur de la république j’avais le chef couvert d’un béret. De plus, quand on possède un fond d’innocence et que le débraillé ne vous va pas trop mal, on peut fort bien passer inaperçu dans un quartier d’insensés. Les fous n’ont pas d’uniforme. Cela ajoute à la tragique mascarade. En voici deux tous nus. (Ils adorent être nus.) Entre ces deux, un gentleman coiffé d’un melon se promène. Cet autre porte veston et caleçon ; autour de son bras gauche est son faux col en celluloïd. Ils sont soixante-dix environ, en habit de ville, en bourgeron de travail, et déboutonnés par-ci, par-là, en dehors des limites de la pudeur.

Cela ne hurlerait pas trop sans un espèce de putois qui, tout en dénouant une corde, là-bas, au fond, s’en prend à la terre entière de je ne sais quel affront que lui inflige un être invisible. Il se fâche comme si son ennemi était devant lui. Son ennemi est bien devant lui, mais seul il le voit.

 
Un livre fou… certes oui.

 

Chapitre IV

·        Avec ces dames

-         A côté des folles, les fous semblent raisonnables. Ces femmes sont infernales. Toutes ont l’air d’obéir à un ressort qu’elles auraient avalé. Elle se plient, se redressent, gambadent. Elles portent leur bras en ailes de moulin. Il y a beaucoup de cantatrices.. les ballerines ne manquent pas non plus, et les mégères relient les deux… Par temps d’orage, l’intensité de cette diablerie est décuplée.

-         Monsieur !

Une rousse qui a l’air d’avoir des serpents dans les cheveux, me saisit par le bras, impérative :

-         Monsieur ! J’ai été nommée mère principale des filles de la Charité, chanoinesse de la cathédrale, général en chef du Vatican par sa Sainteté le Souverain Pontife…etc…

 

On met la ceinture aux audacieuses, aux vindicatives. On compte bien dix ceintures dans cette cour. L’une des agitées marche sans arrêt.

-         Asseyez-vous, madame Raymond.

-         Je ne veux pas m’asseoir à côté de ces dames. Elles ne sont pas malades. Pourquoi les garde-t-on ici ? elles vont me donner la bonne santé… Arrière !...Arrière !...

 

            A dix pas, une Margoton chante à tue-tête et tourne, derviche emballé.

 
Que dire du chapitre VI ?

·                   Une nuit.

-         Le mystère humain qu’est la folie s’épaissit pendant la nuit.

L’étonnement, qui, comme une auréole, ne cesse de nimber le spectateur de la vie des fous, grandit alors autour de lui, jusqu’à l’infini.

Les asiles deviennent des cloîtres diaboliques…

Il était onze heures du soir quand je m’amenai devant la grille de la maison départementale de cette ville du Sud…

Le portier dormait. C’était bien l’heure.


            Ce livre tient de la farce macabre, de Jérôme Bosch, de Magritte et de Goya et même du french  cancan vu par Lautrec ! Une grandiloquence qui rappelle l’époustouflant Grand Guignol…

 

            Ce livre dénonçait crûment ce qui dérangeait. D’où la censure dont il fut victime, car cette série de portraits et d’interviews scandalisèrent le petit monde des psychiatres et des aliénistes. La rédaction du  Petit - Parisien  passablement effrayé hésita à publier certains articles qui finalement parurent en mai 1925.

 

            Devant le tollé provoqué et les menaces de procès, Albert Londres dut adoucir certains passages… Il venait d’achever un grand reportage sur le  Tours de France  cycliste : « Les forçats de la route ».


            Après avoir dénoncé les bagnes, il s’intéresse à cette autre sorte d’enfermement. Celui des malades mentaux.

 

            Né à Vichy en 1884, celui qui savait faire flamber l’actualité disparaîtra mystérieusement dans l’incendie du bateau qui le ramenait de son voyage en Chine en 1932.


            « Albert Londres, un nom devenu synonyme de mythe, la référence absolue en matière de reportage ». (Pierre Assouline dans la biographie consacrée au journaliste)

 

« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».

 



Hécate.

 

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25 août 2009 2 25 /08 /août /2009 21:53






U-boot

de Robert Alexis.

  

            Robert Alexis de plus en plus semble écrire depuis un camp retranché et ce dernier roman se lit comme on lirait un de ces carnets de bord retrouvé dans la cabine d’un de ces rafiots échoués sur d’impassibles rocs qui en les éventrant ont aussi ravagé la figure dont s’ornait leur proue.

            Ici point d’allégorie ou de sirène aux seins nus, un chiffre et une immense croix gammée blanche à la proue puisque nous sommes embarqués dans un sous marin allemand.



            Comme chez Powys, sans cesse Robert Alexis mêle le visible et l’invisible, ainsi que le faisait remarquer Jean Walh dans la préface des « Sables de la mer », et par l’humain touche le non - humain.

            Comme l'aurait dit Rimbaud, il y a chez ces deux écrivains, un monde animal et végétal. Un double visage d’écume et de lie.

 

            « On ne côtoie pas les profondeurs sans rompre son âme aux secrets qui l’environnent. L’immersion chasse pour un temps les simulacres et conduit vers cet ailleurs éclairé des formules tragiques de la création » est-il écrit à la page 12 de U-boot  qui est un récit de remémoration. Porté par l’aventure quelque uns des membres de l’équipage vont se révéler, au cours de cette odyssée insensée.

            Le sous-marin 823 est en partance vers une destination inconnue et les hommes à bord ne savent d’autre que ce que leur a annoncé l’Amiral : « - Vous êtes associés à la gloire du IIIème Reich », «- Vous êtes la fierté de notre pays ».

 

            Le 823, eût-il à changer sa route de plusieurs milles, ne devait pas être vu ; c’était bien selon la définition qu’en avait donnée le chef, un vaisseau fantôme, une ombre à fleur d’eau… »

            La seule distraction à bord, l’immersion vertigineuse. « Le monstre avait gémi, il n’avait pas cédé. Trois cents mètres d’eau ! »

« - On ne pourra pas commandant. C’est trop lui demander. »

            Le bâtiment bascule ; le manomètre marque la lente descente vers les abysses. L’équipage terrifié se répète que nul n’est jamais revenu pour dire ses impressions.

            « Tout bateau a sa psychologie ». « Le notre faisait tout pour satisfaire les gosses qu’il portait au creux de sa main, et pour les protéger ».

 

            Peut-être dois-je alors rappeler qu’un éditorial notifiait à propos d’un film d’archives diffusé sur Arte que l’Allemagne mobilisait tous les hommes de 16 ans à 60ans, et qu’un survivant a dit «ce qu’on fait pendant une guerre, c’est à peine si on peut l’admettre plus tard ».

            La jeunesse hitlérienne était un réservoir inépuisable de combattants.  Et la seconde guerre mondiale le terreau des jeux interdits.

            On se passionnait alors pour les conquêtes du Reich. Victoire sur la Pologne, la Norvège, le Danemark…

 

            Robert Alexis nous transporte dans ces pages de l’histoire en narrant une aventure à la fois haletante et intime, avec une maîtrise d’écriture extrême, minutieuse, précise, où passe le souffle d’un onirisme qui n’appartient qu’à lui.

            « Quelqu’un dans son hamac faisait un cauchemar ? Un peigne passait dans la chevelure des songes, cueillant des voix, des visages. »

 

            Pour passer le temps, un jeu va être proposé : « - Nous sommes cinq, que chacun dise donc ce qu’a été sa vie avant la guerre. »

 

            Kassel désigné par un tirage à la courte paille est le premier visage à émerger de l’ombre, à dessiner par la voix et le geste « le délicieux poison de la transcendance ». « Insupportable révélation des dents par un rare sourire, doigts roulant une brindille, le beau ténébreux va éteindre  les premiers rires de moquerie. Sa beauté, augmentée du voile des réminiscences, n’avait jamais été aussi envoûtante ».

            Des aveux à peine dicibles seront dits. Comme une broderie sur la plus fine dentelle d’un rêve défendu.

Sommes-nous encore à bord du sous- marin ? Non, transportés ailleurs, comme ceux qui l’écoutent, dans un temps autre, dans les eaux troubles de l’adolescence et de l’ambiguïté révélées.

Comme dans un tableau de Delvaux, les scènes évoquées semblent pétrifiées à jamais, dans l’inaltérable souvenir inaltéré où évoluent quelques fantômes sans consistance, irréalité confondue à un passé à jamais perdu.

 
            Puis en quelques lignes l’irruption du réel brutalise le lecteur, et oppose au rêve la violence cauchemardesque du hurlement du commandant.


            - « En surface ! Foutue bande de bons à rien ! Bâtiment en surface ! »

 

         La question du véritable héroïsme éclate ! Le véritable héroïsme où est-il ?


            Un avion de reconnaissance tourne en boucle autour du bateau en émersion volontaire. Le commandant du 823 qui en a donné l’ordre inquiète les vauriens de son équipage en arborant un sourire pour la première fois.

Que cache ce sourire ? Les rafales de son mitrailleur ont déclenchés la chasse. Le sous-marin est à présent un gibier à pister.

            Pourquoi ?

            Tout est prêt pour : « une haine indéfectible jetée au masque de l’univers. »

 

            Sur le pont les éléments du drame se sont mis en place comme les pièces d’un échiquier.

            Dans le local où les conversations se sont amorcées, Müller enchaîne aux aveux de Kassel, les siens, resserrant d’autant l’intrigue.

            Rien ici n’a été organisé au hasard.

            L’histoire de Müller ne consolera pas le beau Kassel tabassé à Mathausen, les testicules ligaturés. On ne l’apprend qu’à cette jonction de l’action sur le pont, tandis qu’en dessous Müller en se racontant relance l’attention. Il sait qu’il ne suscitera nulle pitié et il semble s’en réjouir « j’ai appris au moins cela, que l’horreur éveille dans l’esprit ce que l’on n’aurait jamais supposé : un formidable voisinage avec l’inconnu ».

 

            L’écriture de Robert Alexis se fait altière, se drape de rigueur pour exhiber la violence ordinaire, coutumière des jours où les guerres jettent les hommes dans les confusions des extrêmes. Il balaye d’éclairs fulgurants, des scènes sans une faiblesse nous livrant les crimes et les abjections comme une normalité incontournable.

            « Si la vie se résume à donner ou à prendre des coups, il vaut mieux avoir le bâton en mains ».

 

            L’histoire réclamait des hommes pour se battre nous rappelle la voix de l’auteur masqué comme dans les tragédies antiques et soulignant d’une discrète réflexion philosophique la trame de son roman « Le chaos effrayait les grecs, l’anarchie nos contemporains. »

 

            Tandis que la mort commence son office sur le pont du sous-marin, aucune miséricorde ne compense ce qui se révèle en dessous.

« - Je devais montrer ma haine envers les juifs. Assis auprès de Müller, le bavarois hoche la tête. Ils s’attendaient à ce qu’on en vienne là. Son visage était celui d’un accusé qui s’offusque de ses propres crimes. »

 

            « Le plus dur quand on souffre, c’est de ne pas savoir à qui s’en prendre. »  

 

Le lecteur est entraîné dans une plongée sans fin… Une descente dans le malaestrom des éléments, des événements et de l’âme humaine. Une ligne est franchie. Une frontière. La Vie baise la Mort.

            « Ainsi avions nous tué. »

            Des phrases brèves, froides déterminées. Implacables. Le vestige des vertiges des meurtres accomplis…

            « Macherey tenait solidement la fille. Blott découpait ses paupières au couteau.

            Cette fille qui avait du être jolie, les cheveux collés aux tempes par des giclées de sang, ces yeux que rien ne pourrait plus fermer, fixés sur le bourreau…  un plaisir barbare esthète, en un certain sens, mais décidément fermé ».

 

            Kassel est là, qui écoute qui reconnaît dans le déroulement des confessions qui s’entrecroisent, un de ceux qui l’ont torturé à Mauthasen, Kassel devenu incapable de haine, croyant nécessaire la correction de ses écarts. A-t-il été trop loin dans ses amours impossibles ? On semble retrouver là, l’espace d’une ligne, l’officier de « La Robe » et sa féminité balbutiante ; le jeune homme, le frère fragile « des Figures » qui enfant regardait les papillons éphémères comme sa vie allait l’être.

 

            Un mystère plane. Le sous-marin transporte d’étranges missiles et quand l’équipage commence à comprendre que le 823 est voué à une prochaine destruction « en raison de motifs que le commandant et le radio connaissent, dont nous pouvions uniquement supposer le caractère impérieux », l’action se précipite.


         
            1814 kilos de bombes. Un Catalina ouvre le feu crevant la peau de métal du sous-marin  dépourvu d’armement lourd ; avec des batteries endommagées, un gouvernail en avarie, un incendie et une rupture de collecteur, s’amorce une descente vers les abysses tandis que les corps tombent sur le pont. Ce carnage recherché a bien un but. Oui mais lequel ?

 


            En épigraphe l’auteur épingle une phrase de « l’Ile mystérieuse » de Jules Verne… « Il nomma son appareil sous-marin le « Nautilus », il s’appela le capitaine Nemo, et il disparut sous les mers. » 

 

            Comme Ulysse se nomma Personne pour se présenter au Cyclope… nous ne savons le nom du narrateur, les événements qui se bousculent le confinent au silence. Comme dans le Nautilus de Jules Verne, les passagers du sous-marin « sont coupés du monde par une distance infranchissable (Jacques Noiré, dans sa préface de «Vingt mille lieues sous les mers »).

 

 « Moi seul était demeuré un inconnu pour mes camarades. Je n’avais pas eu le temps de parler de mon passé ». Le lecteur qui  suivi l’œuvre de Robert Alexis dans cette brièveté de la réminiscence allusive aux Hartz et à ses habitants, retrouve fugitivement la grâce fantasmatique lumineuse de « La véranda », cet intervalle de bonheur pur…

 

            Un grand écrivain n’a pas la nécessité de s’expliquer sur ce qu’il écrit où si peu. Il est présent dans son œuvre, on l’entrevoit comme dans une trouée d’ombre on aperçoit le pâle éclat d’un rayon de lune, ou l’irruption éclatante du soleil après la traversé d’une forêt épaisse, qui aveugle autant qu’il éclaire. Robert Alexis s’amuse-t-il, sardoniquement à nous suggérer de relire Jules Vernes ? Assurément, il met en parallèle deux aventures sous – marines, l’une inventée, l’autre calquée et réinventé par la réalité de l’Histoire. Une montée de ténèbres, une hécatombe… Cette montée de haine, inexplicable qui a métamorphosé en bête féroce un être raffiné comme le Capitaine Nemo n’aurait-il pas quelque rapport avec l’interrogation de Robert Alexis : disparaître pour renaître ?

Questionnement qui hante tous ses romans. Comme dans Jules Verne, mieux qu’un roman d’aventure, U-Boot est mieux et plus qu’un roman de guerre.

 

            Comme dans Flowerbone où avec les Cyborgs de l’espace nous étions soudainement propulsés en Afrique et rencontrions un sorcier Massaï qui ouvrait les perspectives, ici, nous allons nous retrouver chez les indiens Kunas.

 

            « Du contraste entre la beauté sauvage de notre asile et le souvenir des camarades disparus naissait une impression singulière…Et puis nous étions si loin de tout ! Nul autre paysage n’eut pu marquer aussi tragiquement la souffrance de l’exil. »

 

            Un bateau ivre d’impossible ? Pourquoi ne puis-je m’empêcher de revoir le bateau du film de Werner Herzog dans « Fitzcarraldo » ?

            Un réalisateur allemand acharné, un acteur halluciné Klaus Kinski. Quand le rêve le plus fou s’élabore, la comparaison est-elle si insolite ?

            « Fitzcarraldo » n’étant autre que cette chimère démesurée, où il s’agissait de hisser un bateau avec l’aide des indiens Shuars qui ne voyaient que ce char blanc pour apaiser le démon des eaux !…

 





            Est-il possible de revenir à la condition humaine après avoir vécu longtemps loin de la civilisation ?


            Une question que se posait Jules Verne. Un thème majeur déjà exploré par Robert Alexis dans « Les figures ».


            Une efficacité d’écriture au bord du pessimisme. Une vision dérangeante. Une dimension autre du sens du combat.

 






Edition José Corti, parution le 27 Août 2009.


Hécate.

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24 août 2009 1 24 /08 /août /2009 14:56













                          D'HOLBACH

           Essai sur les préjugés.
                       (1770)

 






            "Penser avec liberté, c’est n’avoir point les opinions du grand nombre, c’est être dégagé des préjugés que la tyrannie croit nécessaires à son soutient. "

 

            " Si l'on y fait attention, l'on trouvera qu'il ne peut point y avoir de livre vraiment dangereux. Qu'un écrivain vienne nous dire que l'on peut assassiner ou voler, on n'en assassinera et l'on n'en volera pas plus pour cela, parce que la loi dit le contraire. Il n'y a que lorsque la religion et le zèle diront d'assassiner ou de persécuter que l'on pourra le faire, parce qu'alors on assassine impunément ou de concert avec la loi, ou parce que dans l'esprit des hommes la religion est plus forte que la loi et doit être préférablement écoutée. Quand les prêtres excitent les passions des hommes, leurs déclamations ou leurs écrits sont dangereux parce qu'il n'existe plus de frein pour contenir les passions sacrées qu'ils ont excitées, et parce que les dévots n'examinent jamais ce que disent leurs guides spirituels.

            Il n'y a que l'imposture et la mauvaise foi qui puissent craindre ou interdire l'examen. La discussion fournit de nouvelles lumières au sage, elle n'est affligeante que pour celui qui veut d'un ton superbe imposer ses opinions ou pour le fourbe qui connaît la faiblesse de ses preuves, ou pour celui qui a la conscience de la futilité de ses prétentions. L'esprit humain s'éclaire même par ses égarements, il s'enrichit des expériences qu'il a faites sans succès, elles lui apprennent au moins à chercher des routes nouvelles.

            Haïr la discussion, c'est avouer qu'on veut tromper, qu'on doute soi-même de la bonté de sa cause, ou qu'on a trop d'orgueil pour revenir sur ses pas.

            Les privilèges, les prérogatives, les exemptions accordés en tout pays à quelques citoyens favorisés, et refusés à tous les autres, tendent visiblement à détruire le respect pour les lois et à éteindre dans les esprits les idées de l'équité. Quelles idées de justice peut avoir un citoyen qui voit que les lois qui châtient le faible ne sont point faites pour les grands ? "

 

Diffusion Presses Universitaires de France



            Les âmes fortes sont rares et les âmes faibles très communes, voilà pourquoi l'on blâme les écrivains qui montrent du courage. • Toutes les âmes renferment en effet, je ne sais quoi de mou, de, lâche, de bas, d'énervé, de languissant. • Cicéron Tusculanes Livre II

 

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4 août 2009 2 04 /08 /août /2009 12:20


                Jean Richepin









            L’été invite à la paresse alors, cédant à l’humeur vacancière, voila que je m’en remets à Jean Richepin le plaisir de se présenter lui-même ; ce qui m’évitera trop d’effort.


            Quelques petites choses tout de même : fils d’un médecin militaire, il est née à Médea en 1849 et mort en 1926.

Lors d’études à Lyon il se révèle doué pour les lettres et rétif à la discipline.



            A Paris, invité à payer les frais de scolarité il ne se gène pas pour lancer au directeur : « Monsieur, on ne tond pas un œuf ». Il préfère n’en faire qu’a son idée et fréquente la bibliothèque plus que les cours de l’Ecole Normale.


            Apres avoir combattu les Prussiens, le revoilà à Paris en pleine insurrection communale. Puis il file à Londres, à Bruxelles, revient à Paris.


            En dépit d’une célébrité grandissante et l’ascendant autour des poètes, il attendra par force, trois ans avant qu’un éditeur courageux daigne publier « La Chanson des gueux ».

 

            Ballade du Roi des Gueux


Venez à moi, claquepatins,
Loqueteux, joueurs de musettes,
Clampins, loupeurs, voyous, catins,
Et marmousets, et marmousettes,
Tas de traîne-cul-les-housettes,
Race d'indépendants fougueux !
Je suis du pays dont vous êtes :
Le poète est le Roi des Gueux.

Vous que la bise des matins,
Que la pluie aux âpres sagettes,
Que les gendarmes, les mâtins,
Les coups, les fièvres, les disettes
Prennent toujours pour amusettes,
Vous dont l'habit mince et fongueux
Paraît fait de vieilles gazettes,
Le poète est le Roi des Gueux.

Vous que le chaud soleil a teints,
Hurlubiers dont les peau bisettes
Ressemblent à l'or des gratins,
Gouges au front plein de frisettes,
Momignards nus sans chemisettes,
Vieux à l'oeil cave, au nez rugueux,
Au menton en casse-noisettes,
Le poète est le Roi des Gueux.

ENVOI

Ô Gueux, mes sujets, mes sujettes,
Je serai votre maître queux.
Tu vivras, monde qui végètes !
Le poète est le Roi des Gueux.

 


            Je laisse donc la parole à Jean Richepin :

 

            « Ce livre est non seulement un mauvais livre, mais encore une mauvaise action. Là maintenant, benoît lecteur, te voilà dûment averti ; et il ne faudra pas t’en prendre à moi, si tu échanges ton bon argent contre ces méchants vers et si tu emportes au sein de ta famille une semblable ordure. »

 

            (Richepin est passé au banc de la correctionnelle, et s’est vu gratifié de cinquante francs d’amende et condamné à trente jours de prison.)

 

             … « J’espère pour ta pudeur, ô lecteur honorable, père prudent, époux irréprochable, que tu vas fermer ce livre malsain, le reposer au bout des doigts dans la devanture où il étale cyniquement sa honte, et courir chez ta maîtresse pour te consoler un peu de la dépravation lamentable qui sévit sur les lettres françaises.

            …Quand au critique, je te dirai qu’il m’est difficile d’en parler et d’apprécier sa valeur littéraire ou morale, vu qu’il était anonyme. Tout ce que je puis t’en apprendre, c’est qu’il était à cheval sur les principes, qu’il en profita pour pousser une charge à fond de train contre mon indignité que son encre de la grande vertu lui servit à débarbouiller de noires injures pendant deux colonnes, sous prétexte de me laver la tête,  et qu’enfin cette austérité farouche florissait dans un journal comique, comme un chardon hérissé dans un champ d’herbes folles. »

 

            (Richepin poursuit avec la même verve, des descriptions polissonnes du journal le « Charivari » avec grande saveur)

 

            « Imagine toi des femmes en toilette négligée voire d’aucune chemise, prenant devant des messieurs des poses que souligne à l’occasion une légende gaillarde. Elles te plairont à coup sûr, ces coquines signées Grévin ; mais tu avoueras sans doute avec moi que leurs genoux provocants ne pouvaient manquer de rendre écarlate celui de notre respectable moraliste…

            …Tu en tireras au moins cet enseignement profitable, à savoir puisque cela conduit à être vilipendé, traîné dans la boue, dénoncé comme un malfaiteur et transformé finalement en gibier de prison.

            …Force brave gens ont passés par là, qui ne s’en portent pas plus mal. Moi-même, ainsi que tu peux le constater je n’en ai pas conservé la moindre peine. Je t’en parle sans fiel, sans me poser en martyr. Et de quoi diable me plaindrais-je ? Il y a de part le monde une assez grande quantité de personnes parfaitement honorables, qui me serrent la main sans être déshonoré. Il y en a aussi qui n’ont pas trouvé mon livre à ce point mauvais ; car il l’ont acheté, l’ont fait acheté à leurs amis et connaissances, m’en ont adressés des éloges,  et j’en sais une demi-douzaine qui le mettent en bonne place dans leur bibliothèque,  jusqu’à l’avoir orné d’une reluire riche, le traitant à la façon d’une belle créature que son amoureux croit digne d’une belle robe.

            Donc toute réflexion faite ne défends pas à ton fils d’être poète, s’il le veut, et s’il le peut. Au besoin même, console-le d’avance des attaques de la critique par cette adage latin : « Censura perit, scriptum manet. »

Au cas où il ne saurait pas le latin, apprends-lui ce délicieux proverbe turc :

Le chien aboie, mais la caravane passe. »

 

            (Ensuite Richepin enchaîne sur la gauloiserie, la bonne franquette, la gueulerie populacière, qui n’ont jamais dépravé personne.)

 

            « Cela n’offre pas plus de danger que le nu de la peinture et de la statuaire, lequel ne paraît sale qu’aux chercheurs de saletés.

             Ce qui trouble l’imagination, ce qui éveille les curiosités malsaines, ce qui peut corrompre, ce n’est pas le marbre, c’est la feuille de vigne qu’ont lui met, cette feuille de vigne qui raccroche les regards, cette feuille de vigne qui rend honteux et obscène ce que la nature a fait sacré.

            Mon livre n’a point de feuille de vigne et je m’en flatte. »

 

            (Et de renchérir sur la littérature encensée  par la vertu bourgeoise, mais où le libertinage passe sa tête de serpent, avec un livre de messe à la main et où certains glissent des images… peu catholique !)

 

            « Le Roi Salomon lui-même ne mâchait guère sa façon de dire, et dont le Cantique des Cantiques, si admirable, lui vaudrait aujourd’hui un jugement à huis clos. Immoral je suis donc, et immoral je resterai, me trouvant en trop noble compagnie pour chercher mieux.

            …Plaisanterie à part, la question est grave ; et on me pardonnera d’entrer dans des considérations plus hautes, à propos de cette accusation d’immoralité que j’ai l’honneur d’avoir partagé en ce temps hypocrite avec des maîtres tels que Baudelaire et Flaubert.

            …Je proteste de toutes mes forces contre cette absurdité… la Justice contrôlant la Littérature. L’Art est une chose, et la Morale en est une autre, et ces deux choses n’ont vraiment rien à voir ensemble. »

 

            (Pierre Desproges a liquidé la littérature et ses auteurs d’une grande giclée de mots cinglants. Richepin n’aurait point dédaigné d’en rire.

            J’ignore, si Desproges qui n’a pas épargné Flaubert a fait de même avec Richepin, mais les amateurs du dit Desproges ne manqueront pas d’éclairer ma lanterne.

 

            Victor Hugo a fait pleurer les chaumières avec « Les Misérables », Mandrin a réjoui les mal nantis, Villon a traîné ses chausses comme il pouvait, Xavier de Montépin avec « La porteuse de pain », y a été de sa romance des pauvres avec ce feuilleton.

            Ah ! J’allais oublier Zola et son naturalisme, Hector Malot et « Sans  famille ».  Pourquoi Richepin se serait-il privé de sa « Chanson des Gueux » ? )

 

            « Toutes mon enfance a été bercée du chant du romantisme » écrit Desproges et « la littérature est à la civilisation ce que la queue est à la casserole : quand il n’y en a pas, l’homme à l’air con. » José  Maria Téfal – Résistances.

 

            (Quelque chose me murmure que Desproges n’aurait pas fait grand mal à Jean Richepin, une gouaillerie sans férocité tout au plus… Mais je puis me leurrer. Les illusions, n’est-ce pas ?)

 

            « Et maintenant feuillette ce livre abominable, pour te bien convaincre que je ne suis pas si méprisable… tu y rencontreras des cantilènes de mendiant, des ballades de baladeurs, des paysages, des bouts de rue, des petits qui demandent l’aumône, des vieux, des marmiteux, de franches canailles qui ont la main leste et la parole encore plus, mais aussi le cœur sur la main ; tu y verras passer jusqu'à des bêtes, car il y a des gueux parmi elles comme parmi nous, tu y entendra de ces affreux gros mots qui offusquent si fort notre bégueulerie moderne, et parfois des refrains ou se joue gaiement un rayon de soleil, où flambe un verre de vin ; et tu te diras qu’en somme il n’y avait pas là de quoi fouetter un chat, que la vertu de nos contemporains est diablement prompte à s’effaroucher, et qu’elle ressemble à ces vieilles dissolues qui poussent la pudeur et la crainte du sens obscène au point de dire le « séant » d’une bouteille et la « tige » d’un cheval.

            …Ouf ! J’ai fini. Merci, ô suave, merveilleux, incomparable lecteur, si tu as l’extraordinaire bonté d’écouter jusqu’au bout les raisons du pauvre auteur qui tient à ton estime et à ton affection. » 

 

            Nativité

D'aucuns ont un pleur charitable
Pour Jésus né dans une étable.
Je sais un sort plus lamentable

Je sais un enfant ramassé,
Un jour de décembre glacé,
Nu comme un ver, dans un fossé.

Il est nuit. Pas une voisine
N'offre à sa grange ou sa cuisine
A la pauvre mère en gésine.

Malgré sa mine et son danger,
Qui donc voudrait se déranger ?
Elle est en pays étranger.

Donc, depuis l'étape dernière
Se traînant d'ornière en ornière,
Elle va, bête sans tanière,

Bête hagarde qui s'enfuit
Et cherche à tâtons un réduit,
Les yeux grands ouverts dans la nuit.

Ses reins lui pèsent. Ses mamelles
Que gonflent des cuissons jumelles
Sont pleines comme des gamelles.

Son ventre, où flambent des chardons,
Sent l'enfant, fils des vagabonds,
Qui veut sortir et fait des bonds.

Elle va quand même, plus lente,
Tirant ses pieds lourds dont la plante
Saigne. Elle va, folle, hurlante,

Soûle, et, boule, roule au fossé ,
Et maudit le mâle exaucé
Par qui son flanc fût engrossé.

La face au ciel, comme en extase,
Elle se tord. Son cou s'écrase
Sur les cailloux et dans la vase.

Elle accouche enfin, en crevant ;
Et le gueux nouvel arrivant
Grelotte et vagit en plein vent.

Le vent est dur, sa chair est nue.
Aucune étoile dans la nue
Ne vient saluer sa venue.

Pas de mages, pas de cadeaux,
De crèches, de bergers badauds !
Il est seul, couché sur le dos,

Comme un supplicié qui claime,
Tout noir près du cadavre blême,
Sans personne au monde qui l'aime ;

Et, par sa mère au ventre ouvert
Je jure, le front découvert,
Que l'autre n'a pas tant souffert !

 

                                                                                                                             Hécate

Œuvres de Jean Richepin, et pour en savoir plus...

  http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Richepin


                                                                                                                                                                                              

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