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10 mars 2011 4 10 /03 /mars /2011 10:24

les reliques

 

 

 Les reliques 

de Jeanne Benameur

 

 

 

Un jour de neige, Hésior, le magicien, Zeppo, le clown, et Nabaltar, le soigneur de fauves sont débarqués par un camion de cirque au bord d’une route.

 

            « Aucun des trois n’avaient regardé le camion s’éloigner.

Et ils avaient marché. »

 

Dans une cabane de chantier abandonnée ils vont vivre. Combien de temps ?...

 

« Ils ne comptent pas. Les calendriers, c’est bon pour ceux qui ont encore à faire avec les autres.

Eux, c’est fini.

Ils font entre eux.

On n’invente pas de calendrier juste pour trois. Même le jour où ils sont nés, ça n’a plus d’importance. C’est écrit quelque part, là-bas où les dates sont sûres. Loin. Ici, ce n’est plus la peine.

Hésior a juste gardé sa montre. Elle ne donne pas l’heure des autres montres, celle que sonne l’église du village, de l’autre côté du bois. Non, non, elle donne son heure à elle, fixe pour toujours, et lui en fait ce qu’il veut.

Pas de retard. Pas d’avance.

C’est juste un désaccord.

Un désaccord avec le temps. »

 

En marge des autres, la vie des trois hommes liés pour toujours, se déroule au fil des jours, des saisons. Mira, la trapéziste qu’ils aimaient est morte. « Trois cœurs pour une seule, Mira. »

Les cheveux blonds du magicien n’ont pas résisté une seule nuit à sa mort.

 

« Est-ce d’avoir partagé Mira vivante ? Ils peuvent la partager maintenant, même avec la mort.

Le cirque ne continue jamais à aimer ce qui est mort.

Eux trois, ils ont continué.

 

On ajuste la mâchoire des morts. On serre la vie entre les dents.

 

Les simples ne distraient pas. Ils font frémir. Hésior avait arrêté sa montre à l’instant où le souffle de Mira cessait de pouvoir être partagé sur terre.

Il savait qu’on ne leur pardonnerait pas.

On les a laissés.

C’était inévitable. Et après tout.

 

Liberté de vivre et de mourir laisse le cœur en plein vent. »

 

Le magicien, le clown, le soigneur de fauves dans la connivence de leur amour fou pour celle qu’ils aimaient et ne peuvent cesser d’aimer vont inventer un rituel pour qu’elle ne soit jamais perdue.

 

« Une relique est une chose qui demeure bien après que tout a disparu. Derrière le verre, protégée, la relique est là. On la révère.

Eux trois ne possédaient que des restes. Des ballerines usées, un costume qui deviendrait guenille avec le temps. Des riens…

Un reste n’est pas relique. »

 

Ils vont se faire fabricants de reliques. « Pour chaque relique, il faut un os… »

 

Une narration incantatoire qui arrache au silence, à la neige, au vent, au sang, à l’écorce du malheur, la plainte et son chant, la mémoire et son murmure, le drame et son mystère.les reliques babel

 

 

 

 

 

« Attention Mesdames et Messieurs. C’est le numéro du risque et du péril. Total.

Sans musique. Sans filet.

Sans roulement de tambour.

Vous êtes prêt ?... »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                     Hécate

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4 février 2011 5 04 /02 /février /2011 11:59

le nécrophilleLe Nécrophile

 

 

 « Tout conformisme me fut toujours étranger »

                                           (Gabrielle Wittkop)

 

 

            Publié en 1972 par Régine Deforges et réédité chez Verticales en 2001, ce roman d’amour extrême se décline en un journal intime, celui de Lucien N. qui tient une boutique d’antiquités.

            Pour Lucien N. l’amour ne peut commencer que lorsque la vie s’achève.

 

 

 

 

1er décembre 19…

            « Je ne déteste pas mon métier ; ses ivoires cadavéreux, ses faïences blêmes, tout le bien des morts, les meubles qu’ils ont faits, les tableaux qu’ils ont peints, les verres où ils ont bu quand la vie leur était douce. Vraiment le métier d’antiquaire est un état nécrophilique presque idéal. »

 

7 janvier 19…

            « On parle du sexe sous toutes ses formes, sauf une. La nécrophilie n’est ni tolérée des gouvernements ni approuvée des jeunesses contestataires. Amour nécrophilique, le seul qui soit pur, puisque même amor intellectualis, cette grande rose blanche, attend d’être payée de retour. Pas de contrepartie pour le nécrophile amoureux, le don qu’il fait de lui-même n’éveille aucun élan. »

 

            Lorsque j’ai publié ma chronique sur « La mort propagande » de Hervé Guibert, j’ai dit : « entrer dans son écriture c’est comme prendre un mort dans ses bras

            Je n’avais pas lu ce livre de Gabrielle Wittkop !

 

            Lucien N., prend dans ses bras les morts dont il tombe amoureux, il les dérobe aux tombes fraîches, les porte jusqu’à son lit avec d’infinies délicatesses.

 

            « J’avais dès le premier instant senti ce que Suzanne serait pour moi. Aussi, bien que frileux, m’empressai-je de fermer le chauffage, d’établir ces sournois courants d’air qui réfrigèrent les pièces en un instant et pour bien des heures. Je préparai de la glace, j’éloignai de Suzanne tout ce qui pouvait lui nuire. Sauf moi, hélas !... »

 

            « Pendant quatorze jours, j’ai été indiciblement heureux. Indiciblement mais pas absolument car pour moi, jamais la joie ne vient sans le chagrin de le savoir éphémère, tout bonheur porte ostensiblement le germe de sa propre fin. Seule la mort – la mienne – me délivrera de la défaite, de la blessure que nous inflige le temps. »

 

« Eros et Thanatos. Tous ces sexes sous la terre, y pense – t – on jamais ? »

 

            Le tailleur de Lucien N. ne peut s’empêcher de lui suggérer une garde – robe moins morose : « Car, si élégant soit – il le noir fait triste.

            C’est donc la couleur qui me convient, car moi aussi, je suis triste. Je suis triste de toujours devoir me séparer de ceux que j’aime. »

 

            L’audace de ce roman s’équilibre d’une haute élégance de style, délétère et élégiaque.

            Les chairs mortes ont – elles jamais été sous la plume de Gabrielle Wittkop aussi envoûtantes, aussi tendres, aussi prenantes que dans ces affaissements, ces abandons ultimes qui précèdent la décomposition irrémédiable ?

            Au risque de choquer, je m’y attends, avec le recul, flotte dans ces pages aux voluptés dérangeantes, une pathétique douceur.

 

            Comme dans « Sérénissime Assassinat », quelques phrases sont en correspondances avec l’art de la peinture.

 

16 janvier 19…

            le jardin des délices bosch détail« Jérôme – Hiëronimus. Dans son Jardin des Délices, Hiëronimus Bosch a peint deux jeunes hommes qui se divertissent avec des fleurs. L’un d’eux a planté de naïves corolles dans l’anus de son compagnon.

            Ce soir je suis allé chercher des cypripèdes chez le fleuriste et j’en ai paré mon ami Jérôme dont les chairs accordent déjà leur nuances au souffre vert, brun et violâtre des orchidées. Les unes et les autres ont atteint ce stade triomphant de la matière à son sommet, à l’extrême accomplissement de soi – même, qui précède l’effervescence de la putréfaction. »

 

 

15 juin 19…

            « Depuis plus d’un mois que je suis à Naples, bien content de m’être éloigné de Paris pour quelque temps… Je flairais le danger. Sans compter que j’avais aussi bien envie de retrouver Naples, la plus macabre des villes, Naples la bouche de l’Hadès. On y joue avec les morts comme avec de grandes poupées. »

 

16 juillet 19…

            « Je viens de visiter Capodimante, le parc aux tritons moussus, le long château jaune qui, derrière les bouquets de palmiers, abrite une merveilleuse collection de peintures. La Mort de Pétrone par Pacecco de Rosa… Une composition mouvementée mais d’où transpire l’indifférence ; de belles couleurs limpides mais aucune intuition du sujet. Du moins pas la mienne. »

 

            Les actes érotiques de Lucien N. avec les morts de tous âges, dont aucun détail n’est éludé, ne se veulent pas une provocation de la transgression. L’indicible est dit. L’amour s’inscrit dans la fatalité où la splendeur du désir est dans la finalité du néant.

            Les plus belles, les plus émouvantes pages sont celles où Lucien N. se trouve face à deux jeunes noyés, le frère et la sœur, peut-être  des jumeaux.

 

            « Etrangers au monde des vivants, ils avaient été faits pour mourir et la Mort les avait passionnément marqués dès l’origine.

            Maintenant qu’ils sont en ma présence, j’ose à peine approcher de leur beauté.

            Dehors la tempête s’est levée et secoue les arbres du Pausilippe. D’énormes nuées roulent sur le ciel. La meute d’Hekate passe en hurlant. »

 

 

 

Blogs à consulter :

 

LA TAVERNE DU DOGE LOREDAN

http://latavernedudogeloredan.blogspot.com/search/label/Wittkop%20Gabrielle

 

GABRIELLE WITTKOP

http://blog.gabrielle-wittkop.fr/

 

Le VAMPIRE RE’ACTIF

http://vampirereactif.canalblog.com/archives/2008/12/22/11810043.html

 

                                                                                                                                                                                                      Hécate.

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9 janvier 2011 7 09 /01 /janvier /2011 17:45

JohnKeats1819 hires

  

 

  

John Keats

 

 

  

  

  

Je ne puis exister sans poésie disait celui qui traversant le Jardin de la Vie disparut de ce monde comme une étoile filante. Tout à la conscience de sa condition mortelle, le cœur étreint par la fiévreuse ardeur de joindre l’impossible Gloire à la gloire d’aimer, Keats nous a donné les radieux élans de ses vers, ses chants mélodieux son souffle éperdu de vitalité insaisissable quand bien même chancelant vers l’inévitable agonie, encore intrépide quoique épuisé, il cueillait les fleurs de la Beauté éphémère en un bouquet à jamais impérissable !

  

 

                        « Mon esprit inquiet ne supporterait jamais

                        De couver si longtemps une volupté,

                        S’il n’épiait, quoique craintivement

                        Une espérance derrière l’ombre d’un rêve. »

                                                                       (Endymion)

 

Il a vingt trois ans lorsque parait « Endymion » en 1818, hors du cercle de ses amis, nul ne le connaît. Il n’a plus qu’à peine trois ans à vivre !...

 

            John Keats vient au monde le 31 octobre 1795 dans la banlieue de Londres. Apprenti apothicaire à l’âge de quinze ans, à vingt ans il décide de se consacrer à la poésie.

            Le comportement de Keats, tour à tour insolent ou intensément effacé de son identité, drapé dans la chair de ses mots est jugé sévèrement par la société puritaine d’alors.

 

(Les lecteurs se choqueront de ses lettres publiées en 1878.)

 

fanny brawneLe 11 octobre 1818 il fait la connaissance de Fanny Brawne dont il s’éprend. Durant les deux années de cette passion, il va lui écrire trente sept lettres, tour à tour tendres, ardentes où le tourment amoureux qui l’assaille s’exprime avec le lyrisme fervent d’une âme exigeante qui alterne avec une sincérité bouleversante qui ne sait feindre.

 

            Le 1er juillet 1819 :

 

« Dites, mon amour, s’il n’est pas très cruel à vous de m’avoir ainsi pris dans vos filets, d’avoir détruit ma liberté. L’avouerez-vous dans la lettre que vous devez sur – le – champ m’écrire et où vous devez par tous les moyens me consoler ; qu’elle soit aussi envoûtante qu’une bouffée de pavot et me fasse tourner la tête ; tracez les mots les plus doux et baisez-les que je puisse du moins peser mes lèvres là où les vôtres ont été… »

 

Le 8 juillet 1819 :

 

« Votre lettre m’a empli d’une joie immense, de celle que vous seule au monde êtes en mesure de me procurer ; je suis même presque stupéfait de constater l’emprise qu’une personne absente peut exercer sur mes sens. Lors même que je ne pense pas à vous, votre influence parvient jusqu’à moi et m’attendrit… !

Je n’ai jamais connu un amour de la sorte que vous m’avez fait connaître ; je n’y croyais pas ; mon imagination le redoutait, de peur d’être consumé. »

 

 

Keats sait son infortune et son mariage sans issue. Il travaille à sa poésie et ne leurre point Fanny.

 

« N’oubliez pas que je n’ai eu aucun loisir pour songer à vous, cela vaut peut-être mieux ainsi ; je n’aurais guère pu supporter la foule des jalousies qui m’assaillaient si profondément au cœur de mes préoccupations imaginaires »…

« Je survole des yeux cette page cruellement dépourvue de paroles galantes et courtoises ; je n’y peux rien, je ne suis ni préposé aux discours d’usage ni Roméo – prêcheur…

Pourtant, je vous en conjure, réfléchissez-y à deux fois et demandez-vous s’il ne vaut pas mieux que je vous expose mes sentiments plutôt que de vous témoigner une passion factice ; et puis vous me perceriez à jour, il serait vain de vouloir vous tromper…

Vous dites que je peux faire comme bon me semble… en mon âme et conscience, voilà qui me paraît impossible. Mes liquidités sont à cette heure taries, pour quelque temps, je le crains ; tout argent que je dépense ajoute à mes dettes. »

 

Vains efforts que de renoncer à celle qu’il aime et dont il est aimé, même si le doute l’effleure. Fanny a dix-huit ans, elle n’est pas exempte de coquetteries… ce dont il souffre cruellement.

 

Le 13 octobre 1819 il lui écrit :

 

« Je n’existe pas sans vous ; je suis oublieux de tout sauf du moment où je vous retrouverai ; ma vie semble s’interrompre net à cet endroit ; je ne vois pas plus loin. Vous m’occupez tout entier. J’ai présentement la sensation de disparaître ; je serais profondément malheureux sans l’espoir de vous revoir bientôt. Songer que je pourrais être loin de vous m’effraie. Fanny, ma douce, ton cœur changera – t – il  jamais ? Mon amour, ce cœur changera – t – il ? J’éprouve en cet instant un amour sans borne ; votre billet vient tout juste d’arriver ; je ne peux être plus heureux loin de vous, cela est plus précieux qu’un galion de perles. Ne me menacez pas, même pour plaisanter… mon amour est égoïste ; sans toi je ne respire plus. 

                                                                                                                      Tout à toi. »

 

 

 

John Keats possède un diplôme d’apothicaire, de médecin et de chirurgien, aussi est-il sans illusion sur le mal qui après avoir emporté sa mère et son frère Tom, va s’abattre sur lui. Dès le 18 août 1818, il commence à souffrir d’un mal de gorge. Le 3 février 1820, il prend froid et crache du sang. Il sait que c’est là le premier signe de son arrêt de mort.

Et même si l’aile de la mort porte sur lui son ombre funeste, jamais elle ne ternit le resplendissant éclat de la Nature, l’ourlet d’écume de la mer, le murmure des ruisseaux, les pétales des fleurs odorantes où s’abreuvent ses vers au vol rapide frémissant du malheur qu’il sait venir le frapper !

 

« Vous devez croire, vous le croirez, il le faut, que je ne puisse rien dire rien penser de vous qui n’ait sa source dans l’amour qui depuis si longtemps fait ma joie et mon tourment. Le soir où je tombais malade, où un afflux de sang se produisit dans mes poumons si violement que je faillis suffoquer – Je vous assure que j’entrevis la possibilité de ne pas y survivre et qu’en cet instant ma seule pensée fut pour vous… mais j’attends avec impatience le printemps ainsi que la régularité de nos anciennes promenades. »

 photo keatshouse hampstead

  

Fanny Brawne refuse de rompre leurs fiançailles.

  

« Si je devais mourir, je n’aurais laissé aucune œuvre immortelle derrière moi ; rien dont le souvenir rendrait mes amis fiers ; pourtant j’ai révéré le principe de la beauté en toutes choses et, si j’en avais eu le temps, j’aurais fait en sorte qu’on se souvienne de moi. De telles pensées me traversaient à peine lorsque j’étais vaillant et que mon cœur ne battait que pour vous ; à présent toutes mes réflexions se partagent entre vous et cette (est-ce à moi de le dire ?) ultime infirmité des esprits nobles ».

 

« J’ai hâte de croire en l’immortalité. Je ne serai jamais capable de vous adresser un adieu définitif. »

 

« Je serai aussi patient envers la maladie et aussi confiant envers l’amour que je le puis

… … ….

V

 

Je ne puis voir quelles fleurs sont à mes pieds

Ni quel subtil encens hésite sur les branches,

Mais dans l'obscurité, infuses, je devine

Les senteurs que le mois saisonnier distribue

A l'herbe, et au buisson, aux sauvages fruitiers –

L'épine blanche et l'églantine des prairies ;

Aux violettes tôt flétries enfouies sous les feuilles ;

Et à la fille aînée de mai,

La rose musquée mi-close et gorgée de rosée,

Des mouches murmurant refuge aux soirs d'été.

 

VI

 

Dans l'obscur j'écoute; et je l'ai bien souvent,

M'éprenant à demi de l'apaisante Mort,

Nommée de noms plus doux dans mes rimes rêvant,

Pour qu'elle prenne en l'air mon souffle sans effort ;

Mourir plus que jamais voluptueux me semble,

Cesser d'être à minuit sans douleur aucune

Alors que tu répands ton âme au loin

Dans une telle extase !

Tu chanterais encore, et moi l'oreille vaine –

Pour ton haut requiem je ne serais que terre.

                           (Ode à un rossignol. Extrait

                                           Traduit par Fouad El – Etr)

 

 

Une nouvelle hémorragie en juin 1820. Il fait parvenir à Fanny son exemplaire de l’Enfer de Dante sur lequel est recopié le sonnet « Bright Star ».

En Août son mal empire. Il cède aux instances de son éditeur et de ses médecin qui craignent que le climat de l'Angleterre ne lui soit par trop néfaste.

 

« Je sens qu’il m’est presque impossible de partir en Italie ; le fait est que je ne peux vous quitter, que je ne connaîtrai le moindre instant de contentement que lorsqu’il plaira à la fortune de me laisser vivre avec vous pour de bon. Mais je ne veux continuer de la sorte. Une personne bien portante comme vous ne peut se représenter les horreurs qu’endurent des nerfs et un tempérament comme le mien… Je doute que ma santé s’améliore sensiblement tant que je serai séparé de vous. En dépit de tout cela, je suis peu disposé à vous voir ; je ne supporte plus les éclairs de lumière suivis du retour dans mes ténèbres… »

 

En septembre, un échange de portraits, de mèches de cheveux et de bagues scellent les adieux de Keats et de Fanny.

Joseph Severn, un ami connu alors que Keats étudiait au Guy’s Hospital l’accompagne ; hélas, le bateau sera immobilisé en quarantaine dans la baie de Naples, et Keats est tenté de mettre fin à ses jours tant l’épuisement l’accable.

Après une longue agonie, à onze heures du soir, le 23 février 1821, Keats expire dans les bras de son fidèle ami Severn. 

 

Sur sa tombe au cimetière protestant de Rome, est gravée l’épitaphe qu’il désirait :

 

Here lies one whose name was writ on water.

(Ci – gît celui dont le nom fut écrit sur l’onde.)

 

            De même il désirait que le porte – monnaie offert par sa sœur Fanny et la dernière lettre qu’il n’avait pas lue ainsi que celles de Fanny Brawne, non lues non plus, soient déposées dans son cercueil.

 

            Shelley apprenant la disparition de Keats en sa vingt sixième année est bouleversé et compose une admirable élégie où explose la foi panthéiste de son âme.

            En Août 1820, il avait offert à Keats de l’accueillir chez lui à Pise, mais sa proposition fut déclinée.

 

                                         « Il vit, s'éveille - Mort, tu es morte, et non lui ;

Ne pleurez pas sur Adonaïs. – Jeune Aurore,

Fais de ta rosée· une splendeur, car celui

                      Sur qui tu t'affligeais, ne t'abandonne point ;

                                           Cavernes et forêts, ne vous lamentez plus !

Ni vous, fleurs alanguies, fontaines; et toi, Air,

Qui jetais comme un voile de deuil ton écharpe

Sur notre Terre délaissée, découvre-la

Même .aux astres joyeux souriant à son désespoir.

 

 

Il n'est plus qu'un avec la Nature ; on entend

Sa voix dans toute sa musique, de la plainte

Du tonnerre, aux accents du doux chanteur des nuits ;

Il est une présence, à sentir et connaître

Dans l'ombre et la lumière, en l'herbe et le rocher,

Partout diffuse, où peut s'étendre ce Pouvoir

Qui a repris son être et le mêle au sien propre ;

Dont l'inlassable amour travaille l'univers,

Soutient ses fondements, et l'embrase par le sommet.

                                                                       (Percy Shelley

                                                                       Adonaïs, extrait)

         bright-star affiche  

 









            Autre hommage à John Keats, le film de Jane Campion, la cinéaste néo – zélandaise qui avec « Bright Star » a renoué les fils d’une histoire dont l’essence est encore toute entière palpitante à travers la Poésie de celui qui l’incarnait dans les vers qu’il jetait à la hâte  et sans effort la plupart du temps…

  

 

 

                     Brillante étoile ! que ne suis-je comme toi immuable –

Non seul dans la splendeur tout en haut de la nuit,

Observant, paupières éternelles ouvertes,

Comme de Nature le patient Ermite sans sommeil,

Les eaux mouvantes dans leur tâche rituelle

Purifier les rivages de l'homme sur la terre,

Ou fixant le nouveau léger masque jeté

De la neige sur les montagnes et les landes –

Non – mais toujours immuable, toujours inchangé,

Reposant sur le beau sein mûri de mon amour,

Sentir toujours son lent soulèvement,

Toujours en éveil dans un trouble doux,

Encore son souffle entendre, tendrement repris,

Et vivre ainsi toujours – ou défaillir dans la mort.

 

            (Bright Star !

John Keats

Traduit par Fouad El – Etr)

 

 Odes à un rossignol              Lettres à Fanny

 

 Hécate.

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10 décembre 2010 5 10 /12 /décembre /2010 10:35

202 Champs Elysée202, Champs – Elysées

 (A cidade e as serras) 

de

Eça de Queiroz

 

 

 

 

 

Ma rencontre avec ce livre est tout un roman !

 

Je passais dans une petite rue quand mon attention se trouva attirée par une affiche sur la porte d’un restaurant. Elle annonçait une soirée de Fados. Des artistes totalement inconnus, un numéro de téléphone pour la réservation. Rien de plus. Renseignement pris, me voici donc à traverser la ville, à déambuler dans les couloirs d’une mairie d’une commune voisine.

 

La conversation s’engage très naturellement. Etais-je une habituée des soirées autour du Portugal ? Ebahie, j’avoue mon ignorance quand à ces réunions, et, effarée plus encore quand j’apprends que la précédente avait été consacrée à l’un des plus grands écrivains de ce pays.

 

-         Lequel ?

 

La personne m’avoue que ce nom bien connu se refuse soudain à sa mémoire. Je cite au hasard quelques poètes et auteurs, en premiers ceux dont j’avais réussi à grand peine à me procurer partiellement les œuvres, puis celui dont je commençais à désespérer de les lire : Eça de Queiroz.

 

-         Ah ! celui-là même !...

 

Ma curiosité ne se tient plus.

 

-         Vous n’avez pas lu « 202, Champs – Elysées » ?

-         Non…

 

Et là, en quelques mots, on me vante le charme irrésistible de ce roman. Et même l’adresse d’une librairie où dénicher ce bijou.

Je tiens à préciser que je n’étais pas encore initiée à la cyber navigation, et que j’avais renoncé à lire un jour Eça de Queiroz !

 

Ce qu’en dit la quatrième de couverture :

 

 

« Dans le Paris de la fin du XIXème siècle, peuplé d’anarchistes, de poèteseça de queiros symbolistes, de dandies, de gros financiers boursicoteurs et de buveurs d’absinthe, se dresse 202, avenue des Champs Elysées l’hôtel particulier d’un jeune aristocrate portugais, Jacinto prosélyte acharné de la modernité.

Télégraphe, téléphone, gramophone, phonographe, cave d’eaux minérales, ascenseur et autre « gadgets » meublent cet hôtel, mais Jacinto en est devenu l’esclave et sombre dans la mélancolie…

 

Eça de Queiroz, dans ce roman incisif, enjoué, où la décadence a du charme et de l’esprit, se livre à une dénonciation du danger du progrès d’une science au service de la puissance et du profit ».

 

 

 

 

Le narrateur, Zé Fernandez est un ami de Jacinto. Les deux jeunes gens s’étaient rencontrés à Paris, aux écoles du Quartier latin.

« A cette époque, Jacinto avait conçu une Idée…que l’homme n’est supérieurement heureux que lorsqu’il est supérieurement civilisé. »

Sept ans plus tard ils se retrouvent, très émus. Rien n’avait changé dans le jardin, mais Zé Fernandez va d’étonnement en étonnement…

 

         « A l’intérieur, dans la galerie, j’eus la surprise de découvrir l’ascenseur, que Jacinto avait fait installer bien que le 202 n’eût que deux étages, reliés par un escalier si facile à monter qu’il n’aurait jamais porté atteinte à l’asthme de Dona Angelina ! Spacieux, tapissé, il proposait, pour ce voyage de sept secondes, de nombreuses commodités : un divan, une peau d’ours, un guide des rues de Paris, des étagères superposées avec des cigares et des livres… »

 

         Une fois à l’étage, en dépit d’un mois de février frissonnant un calorifère répand la douce température d’une après-midi de mai…

         « Je murmurai alors, du plus profond de mon être stupéfait :

 

-         Voila la civilisation !... »

 

Mais il n’a pas encore vu la bibliothèque monstrueuse de livres neufs et le feston de lumière qui jaillit d’un effleurement du doigt. Invité à dîner par son ami, Zé Fernandez dit :

 

« -   Ecoute, Jacinto, non, vraiment… Tu sais j’arrive de Guiães, des montagnes j’ai besoin de m’imprégner lentement précautionneusement, de toute cette civilisation, sinon je vais en crever. Dans la même après-midi, l’électricité, le conférençophone, les espaces hyper – magiques, ton spécialiste de la femme, ton peintre éthéré, la dévastation symbolique, trop, c’est trop, je reviendrai demain. »

 vieux telephone s

 

 

 

 

La grande aventure de Zé Fernandez au cœur de la Civilisation va commencer dès son installation au 202 ; son ami Jacinto, le Prince de grande Fortune le presse de quitter son modeste hôtel, au 202 il aura le téléphone, le théâtrophone, des livres…

 

Eça de Queiroz de sa plume aussi drôle que tendre, égratigne tout ce monde qu’il nous dépeint, mais sans jamais se départir d’une grande compassion pour l’humanité.

Le progrès trahit sa fonction première qui est de libérer l’homme, et, il est pris d’une discrète mélancolie à voir l’homme en devenir l’esclave.

 

La seconde partie du roman, un retour à la nature se déroule au Portugal.

Jacinto a reçu un courrier. Les vénérables restes de ses illustres aïeux vont être transférés dans la nouvelle chapelle de Tormès.

 

« -    Je pense que tu sais, mon bon Jacinto, que la maison de Tormès est inhabitable ?

 

Il fixa sur moi des yeux épouvantés.

 

-         Affreuse, hein ?

-         Affreuse, affreuse, non… C’est une belle maison, en belle pierre. Mais les fermiers qui vivent là depuis trente ans, dorment sur des paillasses, mangent leur soupe devant la cheminée et se servent des pièces pour faire sécher le maïs…

 

… … …

 

Et jamais mon Prince (que je contemplais en train de tirer sur ses bretelles) ne m’était apparu aussi voûté, aussi amoindri, comme usé par une lime qui depuis longtemps l’aurait limé jusqu’à la corde. C’est ainsi que s’éteignait, épuisé par la Civilisation, sous la forme de ce maigrichon hyper – raffiné, sans muscle et sans énergie, la si robuste race des Jacintos… »

 

         Et voilà les deux amis lancés dans d’extravagants préparatifs de départ pour Tormès dans le Douro !... Le 202 devient le théâtre du colossal déménagement de toutes les commodités nécessaires…

 

« Jacinto, songeant tout à coup aux orages en montagne, acheta un immense paratonnerre… Et la colonne des bagages franchissant le porche du 202 me rappelait une page d’Hérodote évoquant la marche de l’armée des Perses. »

 

Zé Fernandez, en vieil habitué des montagnes ne succombe pas aux mêmes transports qui soulèvent l’âme novice de son ami.

 

« Mon Prince poussait des rugissements, avec l’indignation d’un poète qui découvre un épicier baillant à Shakespeare ou à Musset.

Alors je riais.

-         Pense à ce que dit la Bible « Tu travailleras la terre à la sueur de ton front !  Elle ne dit pas : Tu contempleras la terre dans l’extase de ton imagination ! »

 

José Maria Eça de Queiroz est né le 25 novembre 1845 dans le nord du Portugal, quatre ans avant le mariage de son père et de sa mère qui ne le reconnaîtront que quarante ans plus tard !

     Il en a souffert profondément.

    

     « Positivement raconter des histoires est l’une des plus belles occupations humaines… écrit-il dans une lettre. Toutes les autres occupations humaines tendent plus ou moins à exploiter l’homme ; seule celle de raconter des histoires a pour but agréable de le distraire, ce qui le plus souvent équivaut à le consoler. »

 

     Avocat, journaliste, puis Consul du Portugal en Angleterre, c’est dans son appartement de Neuilly qu’il va écrire 202, Champs Elysées qui ne sera publié qu’après sa mort en 1900.

 

 

                                                                                                                               Hécate.

Œuvres :

  • Le Mystère de la route de Sintra (Titre original: O mistério da estrada de Sintra) 1870, La Différence, 1991.
  • La Relique (Titre original: A relíquia) 1870, Nouvelles éditions latines, 1996.
  • Le crime du Padre Amaro (O crime do Padre Amaro’') 1875, Collection: Littérature étrangère, Éditions de la Différence, Paris, 2007
  • Son Excellence. Le Comte d'Abranhos (Sua Excelência. O Conde de Abranhos), 1879, Editeur La Différence, 1998.
  • Alves & Cie, La Différence, 2000.
  • Les Maia (titre original : Os Maias) 1888, 5° ed. 2003.
  • Le Cousin Bazilio (O primo Basílio) 1878, Collection : Littérature étrangère, Éditions de la Différence, Paris, 2001.
  • Le Mandarin (O Mandarim)  Collection : Littérature étrangère, Éditions de la Différence, Paris, 2002.
  • 202 Champs-Elysées (A cidade e as serras), Gallimard, Folio, 2000.
  • La Capitale (A Capital), Actes Sud, 2000.
  • L'Illustre Maison de Ramires (A ilustre casa de Ramires), La Différence, 1999.
  • Contes et nouvelles (Contos e novelas), Éditions de La Différence, 2008.
  • "Lettres de Paris " ("Cartas de Paris"), présentation, La Différence, 2007

 

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19 novembre 2010 5 19 /11 /novembre /2010 20:36

Lieutenant Darmancour

 

  

Lieutenant Darmancour 

 Eric Jourdan

 

 

 

 

             En l’an 1697, un jour d’hiver, Pierre Perrault Darmancour est conduit à la prison du Châtelet. Il vient de blesser mortellement l’un de ses camarades, Guillaume Caule. Pourtant le fils du grand commis du Roi Charles Perrault et le jeune charpentier s’entendaient comme les meilleurs amis du monde… Etait-ce seulement un accident ? 
 

 

 

Pierre Perrault Darmancour à dix neuf ans est célèbre par la publication de ses « Contes de ma mère l’Oye », précédés d’une dédicace à Mademoiselle, la petite nièce de Louis XIV.

 

 

 

« On ne trouvera pas étrange qu’un Enfant ait pris plaisir à composer les Contes de ce Recueil mais on s’étonnera qu’il ait eu la hardiesse de vous les présenter… 

 

… …

Pouvais-je mieux choisir pour rendre vraisemblable

Ce que la Fable a d’incroyable ?

Et jamais Fée au temps jadis

Fît-elle à jeune Créature,

Plus tard de dons, et de dons exquis,

Que vous en a fait la Nature ?

 

Je suis avec un très profond respect,

MADEMOISELLE,

 

De Votre Altesse Royale,

 

Le très humble et

très obéissant serviteur,

P. Darmancour. »

 

 

         Mademoiselle une jeune pimbêche, l’aînée de trois ans de Pierre Darmancour, jettera un œil sur lui comme sur un insecte. « Sa coiffure l’accablait tant elle se compliquait de friselis. » Les Contes de ma mère l'oye

   

   

  

         Les Contes enchantèrent tout Paris.

 

 

 

 

 

         Eric Jourdan fait revivre dans ce livre la courte vie de leur auteur, hélas oublié.

 

        

Qui ne connaît ces Contes la plupart du temps publiés sous le seul non de Charles Perrault, les éditions ne mentionnant plus guère celui de Pierre Darmancour !

 

Dans la pièce qu’assombrit le jour qui tombe, incarcéré au Châtelet, dans l’inquiétude de son sort et de la réaction de son père le jeune homme vient d’écrire sa déposition, sachant que s’il dit la vérité il sera perdu.

 

« Le pire des châtiments est la lapidation morale. Ce siècle est un siècle de pierres qu’on jette sur tout ce qu’on ne comprend pas, n’accepte pas, qui ne ressemble pas à ce qu’un homme doit être selon les conventions et les règles qui ne sont que des meurtres cachés .»

 

 

«  C’est à seize ans que mon père m’avait acheté le nom Darmancour, dans son optique de ma réussite à venir. »

« Tout a commencé comme un conte de fées. Je fais bien de dire ça, car ce fut exactement comme ce que j’écrivais après que mon père m’eut demandé de noter les histoires du temps passé… »

« En réalité, il brodait à sa façon qui était la plus simple du monde et qui venait de l’intérieur de lui-même. D’où ? De partout, la cervelle, le cœur, le sexe, le vrai moi de chaque être, ne ressemblant à aucun autre et dans son cas l’essence même d’un garçon jeune décidé à vivre sans contraintes et sans ordres. »

 

Charles Perrault est enchanté de ce que Pierre a écrit « Son petit dernier serait bien le nouvel Orphée de la famille selon le langage des dames exquises du Marais. »

 

Charles Perrault marié tardivement est veuf. Pierre vénère son père, mais regrette les tendresses absentes de cet homme âgé préoccupé de choses d’importances.

 

« Il se souvenait de ses deux premières histoires que son père avaient arrangées à sa façon.

le petit chaperon rouge

 

 

 

            Le Petit Chaperon rouge d’abord. Un chaperon, pour lui, c’était au masculin le couvre chef des hommes et de quelques veuves aussi (c'est-à-dire des presque hommes) et des garçons. L’histoire du gamin (son père en avait fait une fille) qui musait dans les bois (est-ce qu’on laisse une fille aller seule par les bois ?), écoutait le premier beau parleur venu alors qu’on le lui avait défendu, devait se finir le plus mal possible. Au fond le petit chaperon avait le secret désir d’être dévoré par la part sombre de lui-même. Et n’était-ce pas lui Pierre Perrault, lui en face du loup dévorateur ?...

 

         Pendant plus d’une année il fit mine de récolter des contes qu’il arrangeait à sa guise avec simplicité. Le cœur d’un jeune garçon est rempli de pièges, de meurtres, de dévouements secrets où le pire est toujours sûr. »

 

         « Le cœur de l’homme, disait Monseigneur Bossuet, encore un ami de son père, est un lieu plein d’ordures. »

 

         Charles Perrault s’empare des contes de Pierre, les ponce jusqu’à les rendre inoffensifs, du moins en surface et revêt le tout des oripeaux de la Cour.

             maitre chat

  

         « Chaque fois je compliquais les péripéties pour que toute modification ne fut pas simple ni naturelle. Pour le change je donnais parfois mains à des bienséances voulues, mais si on lisait de près mon Petit Poucet, Barbe – Bleue ou l’histoire du Maître Chat, la subversion souterraine faisait irruption dans les détails. J’ai fait des Contes à double fond. Je ne voulais pas de fille pour héroïne, mais quelqu’un à part comme moi, prêt à se sacrifier pour quelqu’un comme lui. 

 

         Les Contes faisaient leur chemin, même dans l’état où mon père les avait corrigés… je le ressentais comme s’il m’avait corrigé moi.»

 

         La narration d’Eric Jourdan dose l’intime et esquisse l’univers de la Cour, du Bain des Pages aux feux d’artifice Royaux. On entrevoit personnages et décors, la Palatine dans une robe bleu acide, les oreilles brinquebalantes de bijoux ; le vieil abbé de Choisy avec ses robes couvertes de dentelles, ses coiffures à étages, l’éventail en bataille, les mains embijoutées. « Il avait écrit une histoire de marquis – marquise, ambiguë comme lui dont le Mercure parla l’année même des Contes. »

 

         «…  des antichambres de crépuscule succédaient à des pièces qu’on traversait sans voir le jour. Détour après détour nous arrivâmes enfin, moi le cœur levé par ces relents de parfum et de foutre dans une pièce dont la fenêtre se trouvait à moitié bouchée d’un immense paravent.

         Le frère du Roi glapissait au milieu de sa petite cour, surveillé par son sigisbée qu’on disait beau et qui avait dû jadis profiter d’un visage de poupée aux joues rondes, la méchanceté coincée aux plis de la bouche. »

 

 

Pierre Perrault Darmancour déteste les chapeaux autant que les perruques, il est vêtu simplement sans tous les colifichets à la mode ; justaucorps, culottes sans canon, des bottes courtes, la cravate nouée à la diable.

 

         « Ainsi je vivais les jours magnifiques et désespérés de la jeunesse. Le désespoir, c’est le bonheur qui vous échappe toujours, comme si vous refermiez votre main sur de l’air. »

 

 

         Pierre Darmancour ne sera sauvé que grâce à la protection de François de Conti, qui lors de circonstances particulières lui avait donné un anneau qu’il porte au doigt et, aux démarches de son père. La seule issue pour lui est de s’enrôler dans le régiment du Dauphin. Charles Perrault achètera une lieutenance à son fils.

 

         Va commencer pour le jeune homme une vie de garnison…

 

         « Il ne doutait pas de l’avenir qui s’avançait à grand pas vers son double uniforme, celui de lieutenant au Royal Dauphin et celui de peau du jeune être sensuel. »

 

 

         Parmi les pages les plus poignantes, celles de ses adieux à son ancienne vie. Celui que Ninon de Lenclos appelait le garçon des contes de fées, avant de partir pour l’armée du Nord va lui remettre le dernier conte qu’il a écrit et que personne ne connaît. Ninon, fait allumer un chandelier, cache son visage derrière son éventail et lui en demande lecture.

 

         « Darmancour avait une voix claire, il lisait vite, jouait l’histoire et en un instant ils se trouvèrent tous deux, la femme de nuit et le petit lieutenant, loin de Paris dans un monde enchanté : …. Il était une fois… »

 

 

         Eric Jourdan, auteur des « Mauvais anges » longtemps censuré, fils adoptif de l’immense écrivain Julien Green rend un superbe hommage à Pierre Perrault Darmancour.

         Une histoire individuelle en filigrane de l’Histoire écrite avec ferveur et sensualité, celle d’un jeune homme impétueux épris des plaisirs inavouables à la recherche de l’amour et qui trouvera la mort le 2 mars 1700.

  

                                                                                  Hécate.

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22 octobre 2010 5 22 /10 /octobre /2010 22:24

l'époux impatient

  

  

  

  

 

L’Epoux impatient

de Grazia Livi

 

 

 

 

 

 

 

            L’époux impatient, c’est Lev Nikolaïevitch Tolstoï dont les noces avec Sofia Andreevna viennent d’être célébrées à Moscou le 22 septembre 1862 après de très brèves fiançailles.

 

            « Tout devait s’accomplir en une seule semaine : la préparation, la séparation, le rite, l’adieu. Alors que Sonia vivait en symbiose avec sa mère, mesurant, choisissant, achetant et quelle dormait la nuit d’un sommeil entrecoupé de rêves incompréhensibles, Lev se couchait tard, se promenait beaucoup et parlait nerveusement. »

 

            Toutes les bassesses de ma jeunesse me brûlent le cœur : terreur, douleur, repentir. Je me dis :

Est-ce possible de souffrir tellement et d’être en même temps heureux ? Chaque jour je deviens de plus en plus fou. 

 

            Entre la pure colombe effarouchée et le tumultueux Lev Tolstoï qui vit comme un moujik, exige l’absolu de lui-même et des autres, le voyage de noces se déroule dans l’exaltation de la passion et de l’angoisse enfiévrée.

            Le passé, le présent s’enchevêtrent dans les pensées de Sofia et de Lev. Verste après verste, durant ces deux jours en berline, ces deux êtres vont se découvrir, s’apprivoiser. Frémissements de l’âme se heurtant aux embrasements de la chair.

 

            Lev Tolstoï« Il était en proie à un désir irrépressible, prendre d’assaut sa nouvelle vie. Il avait trente quatre ans et elle, à peine dix huit. Entre eux il y avait une telle différence, un écart, un abîme. Seize ans.

 

 

« Aide-moi Seigneur. J’ai gaspillé mon temps, je me suis gaspillé. »

 

 

            Il se détestait pour tout ce qu’il avait laissé advenir, en brute qu’il était, irasciblement  impulsif, maladroit en société, rétif à toute critique, volubile, intolérant, amoureux de la gloire à outrance. Les insultes qu’il s’adressait dans son journal n’avaient d’égale que sa soif de perfection. Elle lui imposait une foule de règles, de corrections, de freins. »

 

            Dans les 157 pages de ce livre Grazia Livi restitue magnifiquement toute l’âpreté romantique de l’âme russe ; s’appuyant sur des écrits intimes de Tolstoï et de Sofia Andreevna qu’elle intègre subtilement aux dialogues et aux descriptions qui rythment ce troublant voyage jusqu’à Iasnaïa Poliana, la résidence de l’écrivain.

 

            « Il avait lui-même acheté cette berline construite sur un modèle parisien, tapissé à l’intérieur d’un damas gris, munie de lanternes cylindriques et d’un marchepied revêtu de cuir. Il avait choisi lui-même cette épouse intimidée et tendre. »

 

            - A quoi pensiez-vous ? demanda-t-elle, oubliant qu’elle devait éviter le vous et le français. Langue de salon, de petits mouchoirs brodés, langue qui ornait les livres mais n’exprimait pas la vérité de l’âme russe.»

Il le lui dirait plus tard…

  Sofia Andreevna

 

            « Elle voyageait dans la nuit des temps. Quelque chose d’inconnu, d’ajourné, en suspens, pesait sur elle depuis le moment où elle avait dit « oui » à Lev Tolstoï. Cela avait un rapport avec le mot « union » qui transmettait de mère en fille un secret archaïque, entouré d’un essaim de chuchotements… Mais par orgueil, par timidité, elle n’avait pas demandé d’explication et préférait se soumettre au secret qui se révélerait peut-être la nuit à l’improviste dans la tanière inconsciente du sommeil. »

 

            Grazia Livi est née à Florence en 1930 elle vit aujourd’hui à Milan. Journaliste, essayiste et romancière, elle a obtenu le prix Viareggio du meilleur essai en 1991 pour « Le lettere del mio » et le prix Alessandro Manzoni, en 2006 pour «Lo sposo impaziente», publié chez Actes Sud en 2010.

                                                                                                                                                                    Hécate

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21 septembre 2010 2 21 /09 /septembre /2010 11:06

mathias enard coverParle-leur de batailles,

de rois et d’éléphants.

 

de Mathias Enard.

 

            Tout commence par l’arrivée de Michel – Ange à Constantinople le 13 mai 1506 invité par le Sultan Bajazet.

 

             « Chronique de quelques semaines oubliées de l’histoire… Troublant comme la rencontre de l’homme de la Renaissance avec les beautés du monde ottoman, précis et ciselé comme une pièce d’orfèvrerie, ce portrait de l’artiste au travail est aussi une fascinante réflexion sur l’acte de créer et sur le symbole d’un geste inachevé vers l’autre rive de la civilisation » nous dit la quatrième de couverture.

 

            « La nuit ne communique pas avec le jour. Elle y brûle. On la porte au bûcher à l’aube. Et avec elle ses gens, les buveurs, les poètes, les amants. Nous sommes un peuple de relégués, de condamnés à mort. Je ne te connais pas. Je connais ton ami turc ; c’est l’un des nôtres. Petit à petit il disparaît du monde, avalé par l’ombre et ses mirages ; nous sommes ses frères. Je ne sais quelle douleur ou quel plaisir l’a poussé vers nous, vers la poudre d’étoiles, peut-être l’opium, peut-être le vin, peut-être quelque blessure obscure de l’âme bien cachée dans les replis de la mémoire.

Tu souhaites nous rejoindre. »

 

            Tout au long des pages les activités semi – oisives du jour de l’artiste alternent avec l’onirisme des nuits où vont se mêler voix, musiques, et toutes les architectures de l’indicible. Michel – Ange emplit les pages de sa présence. Il dessine, marche, découvre, s’absorbe dans le silence et la fierté.

 

            Il y a des livres qui sont à la fois histoire, conte et poésie…et dont il est difficile de parler…de peur d’en déflorer le charme, d’en dévoiler l’ambiance, d’en éventer saveurs et parfums, d’en affadir les couleurs, d’en détruire l’envoûtement.

 

            Il m’a suffit d’ouvrir celui-là, par curiosité tout d’abord. Le nom de l’auteur ne m’étant pas inconnu, même si ses livres précédents l’étaient.

            Quand l’écriture est si belle, si prenante, comment mettre ses propres mots derrière elle ?...

            Debout dans la librairie, j’ai lu quelques phrases… assez pour être captivé, transportée…

 

            « Tu penses désirer ma beauté, la douceur de ma peau, l’éclat de mon sourire, la finesse de mes articulations, le carmin de mes lèvres, mais en réalité, ce que tu souhaites sans le savoir, c’est la disparition de tes peurs, la guérison, l’union, le retour, l’oubli. Cette puissance en toi te dévore dans la solitude.

Alors tu souffres, perdu dans un crépuscule infini, un pied dans le jour et l’autre dans la nuit. »

 

            Michel - Ange attend.

Il va recevoir un contrat en latin et une bourse de cent aspres d’argent pour ses frais.

 

            « Le secrétaire qui lui tend les papiers a les mains douces, les doigts fin ; il s’appelle Mesihi de Pristina, c’est un lettré, un artiste, un grand poète, protégé du vizir. Un visage d’ange, le regard sombre, un sourire sincère, il parle un peu franc, un peu grec, il sait l’arabe et le persan. »

 

            « Il s’est laissé conduire, à pied à travers les rues tièdes de la ville. Les boutiques fermaient, les artisans cessaient le travail, les parfums des roses et du jasmin, décuplés par le soir se mêlaient à l’air marin et aux effluves moins poétiques de la cité. »

 

            « Dans la solitude désemparée de celui qui ignore tout de la langue, des codes, des usages de la réunion à laquelle il prend part, Michel – Ange se sent vide, objet d’attentions qu’il ne saisit pas… »

 

            ignudoViens échanson, lève-toi et apporte le vin, et d’un pas magique, d’un geste où le lourd vase de cuivre ne pesait rien, le danseur ou la danseuse si léger, si légère, a rempli les verres l’un après l’autre, en commençant par celui du vizir. Michel – Ange a frissonné quand les étoffes lâches, les muscles tendus se sont approchés si près, et, lui qui ne boit jamais, il porte maintenant la coupe à ses lèvres en signe de gratitude envers ses hôtes et en hommage à la beauté de celui ou celle qui lui a servi le vin épais et épicé. Cyprès quand il est debout, c’est un saule quand, penché sur le buveur, l’échanson incline le récipient d’où jaillit le liquide noir aux reflets rouges dans la lueur des lampes, des saphir qui jouent aux rubis. »

 

            Michel – Ange est à Constantinople pour construire un pont.

 

            « Un pont ce sera la cadence des arches, leur courbe, leur élégance des piles, des ailes, du tablier. Des niches, des gorges des ornements pour les transitions, certes mais déjà, dans le rapport entre voûte et piliers, tout sera dit.

            Michel – Ange n’a pas d’idée. 

            Cet ouvrage doit être unique, chef-d’œuvre de grâce autant que le David, autant que la Pietà.

Michel – Ange baye aux corneilles sur ses planches. Il ne voit pas encore ce pont. »

 

            Il n’est pas dans mon idée d’édulcorer ce roman, entrecroisement d’ambivalences et de rencontres. La volupté voisine avec la cruelle douceur des passions de l’Histoire et de l’histoire individuelle.

 

            « Parle – leur de batailles, de rois et d’éléphants, de chevaux, de diables, d’éléphants et d’anges, mais n’omets pas de leur parler d’amour et de choses semblables. »

 

            Tout est annoncé dans l’épigraphe de Kipling qui invite le lecteur à se glisser hors du temps…et dans ce temps mystérieux entrevu comme en rêve.

 

                                                                                                                                          Hécate.

 mathias enar portrait

 

 

Bibliographie de l’auteur :

 

La perfection du tir. 2003

Remonter l’Orénoque. 2005

Bréviaire des artificiers. 2007

Zone. 2008 ( prix Décembre 2008 / prix du Livre Inter 2009)

Mangée, mangée. 2009

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22 août 2010 7 22 /08 /août /2010 15:03

noraNora

de

Robert Alexis.

 

 

  

  

Avec cette sixième parution aux éditions Corti, Robert Alexis pourrait s’inscrire dans la lignée des romanciers de l’inavouable.

 

Ce qu’il narre est à la fois un clin d’oeil aux « Contes immoraux » du Siècle des Lumières, tout comme aux noires cruautés de ceux du lycanthrope Pétrus Borel où la femme est souvent contrainte et violentée, et pourquoi pas aux vertiges névrotiques d’un Villiers de l’Isle-Adam qui écrivait que « le seul contrôle que nous ayons de la réalité c’est l’idée ».

 

Une épigraphe de Klossowski sert d’entrée de jeu aux jeux entrelacés des déviances de la sexualité.

« Le Je, plaisanterie grammaticale ».

 

«  Je n’existais plus »

 

Nora est celle qui écoute « assise jambe croisées au coin d’une table, une main posée en soutien de la tête… »

 

Supputer une subtile allusion à la Nora de « Maison de poupée », cette héroïne qui a fait voler en éclat le monde du conformisme en affirmant son droit à la liberté, véritable défi qui scandalisa la société d’alors, est assez tentante, d’autant que la structure des contes repose sur des entractes entre les chapitres. Entractes qui permettent l’articulation des décors et des situations.

 

Nora, peut-être la figure de la compassion ?... 

 

«  Les ressorts conjugués du désir, des projets, des souvenirs et du présent s’agitaient sur une lointaine estrade. »

 

Dans le théâtre du dramaturge norvégien Ibsen les forces négatives de l’être poussent ses personnages à chercher à sortir des normes pour renaître à eux-mêmes, un thème que Robert Alexis aborde plus que jamais avec l’élégance d’une écriture osée. Il use de sa plume en virtuose titillant les fantasmes masochistes à leurs paroxysmes, comme avec son archet Paganini savait tirer d’un violon des stridences excitantes, novatrices et mystérieuses.

 

« Le nu androgyne » qui illustre la couverture semble avoir le rôle d’introduire le lecteur dans les « Ruines d’Orsanne » titre qui sert de prologue aux contes.

 

« Brusquement apparu entre deux langues de vapeur le château avait projeté la pâle lumière de ses façade, Nora s’était levée, le visage tendu vers l’étrange éclosion et j’avais à mon tour pu m’étonner d’une féerie de tours crénelées, de toits d’ardoise, de la porte gigantesque terminant une allée de châtaigniers. Un instant seulement ! mais un instant enchanteur, de ceux qu’une gravure propose à l’enfant plongé dans la lecture d’un conte, avant qu’il ne tourne la page, que la brume ne reprenne ses droits sur un monde interdit aux simples mortels ».

 

            Un monde d’interdits multipliés va s’entrouvrir et les scènes vont glisser insensiblement vers les voluptés de l’abyme, les décors n’étant plus que des conventions obéissant aux perspectives de l’inéluctable.

 

            Les lecteurs familiarisés avec les romans de Robert Alexis retrouveront des bribes de similitudes subtiles : le narrateur de « La Véranda » était en proie à de curieuses hallucinations, il achetait soudainement une villa entrevue, ici c’est un château plus isolé ceint d’une forêt de trente hectares aperçu par hasard du haut d’un promontoire naturel.

 

 « Assis sur le banc épargné par l’humidité, nous avions ri devant un panorama de nuages épais… »

 

            C’était sur un banc que l’inquiétant Hermann attendait le jeune officier de « La Robe ».

Faut-il s’étonner de retrouver le banc qui est le titre du premier conte ? Sur un banc on rêve, on perd toute notion du temps. La pensée abandonnée à elle-même n’est plus maîtresse des pulsions dont s’amuse l’identité.

 

            « Déjà, j’imaginais les subterfuges dont sont coutumiers ceux qui agissent en-dehors de la normalité : se munir d’un sac, y placer les vêtements, s’habiller là-bas dans la haie buissonnière derrière le cèdre bleu, et venir s’asseoir sur le banc, et venir se montrer ! »

 

            L’auteur élabore autour du fantasme érotique toutes les déclinaisons de la perversité jusqu’aux abjections les plus absolues.

            « Il s’opère dans notre monde mental comme la fissure de l’atome » disait Powys. Robert Alexis nous en fait une démonstration magistrale !

 

            « Je ne crois pas que la nature d’un fantasme soit réellement importante... L’essentiel se situait dans la qualité que l’on pouvait coupler à n’importe quoi ».

 

            Krafft – Ebing, le psychiatre austro-hongrois a été l’un des premiers à noter les observations sur le besoin de s’humilier, voir de se torturer pour accéder au bonheur. Tout comme l’extrême lubricité de certains vieillards…

 Suzanne et les vieillards - Jacob Joardens

Un bel exemple de ces vésanies de l’esprit nous est donné ici avec « un tableau qui a eu son heure de gloire au seizième et dix-septième siècle. Une jeune femme, épouse vertueuse d’un riche babylonien est surprise au bain par deux vieillards. Elle est soumise à un choix : accepter de faire l’amour avec eux ou être faussement dénoncée pour avoir donné rendez-vous à un jeune homme caché dans le parc. »

 

             Je défis quiconque ayant lu les pages suivantes de pouvoir regarder ces tableaux d’un même oeil ! (Nombreux sont les artistes qui ont abordé ce thème emprunté à l’Ancien Testament, Tintoret, Rembrandt, Van Dyck, Rubens, Jacob Joardens…)

 

            « Une paume enserra mes genoux ; une autre visita l’intérieur de mes cuisses. Un doigt audacieux tira parti de mon abondance, et vainquit sans coup férir la seconde intimité. Je plongeai dans un monde où rien n’existait plus que ce que l’on me faisait… »

            « Je restai debout, bras et jambes écartées, livrée aux molles pressions d’une bête tentaculaire ».

 

            « Garçon » aborde les relations équivoques des enfants et des prêtres, échos au roman quasi autobiographique « Garçons » de Montherlant.

 

            « L’abbé s’en prenait particulièrement aux endroits les plus menacés. – Tu vois, il faut montrer qu’on est bien un garçon… »

 

            « Bientôt, je me levai la nuit lorsque j’étais sûr que mon voisin dormait et circulai dans la chambre, d’une place à l’autre, m’allongeant sur le matelas froid des lits inoccupés, allant jusqu’à la fenêtre exposer ma nudité à ceux que j’espérais cachés derrière les arbres de la cour, des êtres grotesques, les gnomes et les sorcières qui abondaient jadis dans mes livres d’images. »

 

« Le Dahlia noir » (titre éponyme du célèbre auteur américain James Elroy) nous plonge au coeur du crime.

 

 « Ses yeux fous de panique me ravissaient, ses grognements, ses cris étouffés. Quand elle fut totalement nue, je la retournai, ventre contre le sol, je plongeai entre ses reins, creusant par la force un chemin qui ajouta à ses souffrances.

Non, je n’avais jamais eu autant de plaisir… »

 

Six contes inquiétants où planent l’ombre de la démesure, le fantasme dans tous ses ébats et l’ivresse d’une résurrection Dionysiaque !

 

                                                                                                                                                                                                  Hécate

nora 4ème de couverture 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A paraître le 2 septembre 2010.

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19 juin 2010 6 19 /06 /juin /2010 20:58

El chocolate« Coplas »

poèmes de l’amour

andalou.

 

« Il n’y a pas, chez l’auteur anonyme de la copla, intention d’art. Il chante quand cela lui chante, se plaint quand il a peine, il mêle souvent l’amour avec la mort, rarement avec la joie. Il n’écrit pas, il donne son soupir au vent, et le vent le rapporte…

La copla pousse en andalousie. Elle est l’une des principales expressions de Cante flamenco ou Cante jondo. Elle est andalouse et gitane…»

                                                           (Guy Lévis Mano)

 Coplas

« Je voudrais être le tombeau

où tu seras enterrée,

pour te tenir dans mes bras

durant toute l’éternité. »

 

« Celui qui a grand peine

qu’il vienne se joindre à moi,

pour voir si pleurant le sang

il nous vient consolation.»

 

« Me dire à moi de t’oublier

c’est prêcher dans le désert,

c’est marteler un fer froid,

et causer avec les morts »

 

 

« Le cantaor, quand il chante, célèbre un rite solennel, il tire les vieilles essences dormantes et les lance au vent enveloppées dans sa voix… »

 

Ces mots sont ceux de Lorca, l’auteur des inoubliables poèmes du « Cante jondo » et du « Romancero gitan ». Il a dit aussi :

 

« La Peine est le seul personnage du romancero, la peine qui s’infiltre dans la moelle des os, dans la sève des arbres et qui n’a rien à voir avec la mélancolie ou la nostalgie ni avec aucune affliction ou maladie de l’âme qui est un sentiment plus céleste que terrestre : La Peine andalouse qui est une lutte de l’intelligence amoureuse avec le mystère qui l’entoure sans pouvoir la comprendre ».

 

            Je me souviens encore comment je me relevais la nuit pour aller coller mon oreille contre le haut - parleur d’un vieux poste de radio longtemps exilé sur le haut d’une armoire avec d’inouïes précautions, pour écouter ces voix âpres du Cante flamenco. La fureur paternelle me surprenant aurait mis fin à ces rendez-vous sacrés. J’en tremblais de crainte. J’y suis encore… Il me suffit de convoquer ma mémoire et j’entends le chant, il éclate, il descend au fond de mes entrailles foudroyées de solitude. Il feule, se brise, halète d’un souffle égaré et sans cesse retrouvé. Aye…

 

 le danseur des solitudes

           

 

 

 

  

 « … rytmes épandus, éperdus, suspendus comme perdus – mais toujours renoués toujours ressaisis » écrit Georges Didi-Huberman dans « Le danseur des solitudes ».

 

 

 

   

            J’avais sans le savoir trouvé une connivence dans ces voix harcelées par la morsure des accords de guitares, le sourd martèlement des talons : zapatéados forcenés, piétinements farouchement ritualisés.

            Cette connivence ne me quitterait plus…

 

            Des années plus tard, sous la plume du poète suédois Arthur Lundkvist, c’est la gitane Carmen Amaya qui surgit. Je n’avais d’elle qu’une coupure de presse jaunie, qui relatait son passage à Paris et comment, tout un palace résonnait du ronronnement de ses castagnettes d’ivoire ; et comment toute la tribu, dédaignant table et couverts d’argent, mangeait sur les tapis précieux. Celle que son père couvait du regard, qu’il appelait la Pharaona.carmenamayaflamenco

                       

                                       Carmen Amaya danse

 « Danseuse :

        Braise avivée par la tempête,

colombe qui a avalé un épervier.

                        Sans herbe ni mousse

         elle est un fourré de ronce que fouette le vent

avec des roses arrachées et des mèches de cheveux… »

 

Carmen Amaya, tour à tour dans le flot de ses volants amidonnés ou dans un habit masculin, campée comme un torero dans l’arène.

 

 

 

       « Ses lèvres sont sucées comme si la mort les baisait de l’intérieur,

                             les frêles peupliers de ses bras sont écorcés

                                                                       sans qu’ils saignent,

                                                et nulle trace de feuille non plus… »

                                                                   (Arthur Lundkvist)

 

            Danse, arrogance des profils, braise des regards, le duende déploie ses sortilèges. Les bras sont arcs de cathédrale au clair de lune, les mains dressent des croix, des calvaires, des deuils. Elles se tordent, implorant d’impossibles pardons. Effleurement, majesté, lenteur… Les reins se cambrent. Un châle glisse, silence frangé de soie. Volupté et douleur du sorcier amour…carmen amaya

            Zapateado enraciné qui délivre et enchaîne, qui empoigne le cœur, le corps, l’âme.

 

            Quand cesse la musique, comme tranchée au couteau, la Danse, statue ardente se fige, yeux clos ou hallucinés, mains ouvertes en un dernier geste d’offrande.

 

            Carmen Amaya tombait sur les genoux et d’une torsion des reins se relevait comme une flamme sur des braises.

 

            La Chunga dansait les pieds nus…

          

 

Il y a bien des années de cela maintenant, j’ai vu sous les boucles de sa chevelure, la fièvre au front de Mario Maya, possédé, habité par le démon de la danse, cet art mystérieux des gestes et des rythmes. Et il mêlait alors à ses pas, sa voix…

 

 

Celle de Rafaël Romero modulait un chant susurré, profond, fait pour la liturgie du silence. Picasso, Dali, Cocteau l’écoutaient…

 

« Viens ici, guérisseuse et soigne mon corps, je suis malade d’amour » paroles de la Petenera. Un chant, une légende, une femme qui revient séduire les hommes pour se venger d’avoir été autrefois abandonnée.

 

« Que Dieu m’envoie la mort, s’il veut bien me l’envoyer » phrase qui achève une plainte, sans une guitare, seulement scandée par le marteau sur l’enclume de la forge.

Mais rien n’est fixé, ni la durée, ni les mots. « Le langage populaire andalou est précisément le plus pur, c'est-à-dire le plus purement analphabète… L’homme cultivé par les lettres ne croit, n’entend, ne comprend rien au Cante jondo, au chant profond andalou : il ne voit que quelqu’un donnant de la voix et poussant parfois des cris. » (J. Bergamin)

 

Aguretas l’insoumis, de son timbre de bronze éraillé, peut tenir une dizaine de minutes la déchirure de son chant forgé de solitude, martelé de blessures.

            « Je ne sais plus qui j’étais

      Ni ne devrais être

     Je suis un tableau de tristesse

     Tombé du mur… »  (Martinete)

 

            « Est-il arrivé à Saint Jean de la Croix de fredonner ses poèmes dans sa cellule (sur le modèle des chants flamencos de prison, un style nommé carcelas ?) » George Didi-Huberman pose la question dans son essai consacré à Israel Galvan « Le danseur des solitudes ».

 

            Est-il possible d’écouter la voix de Guirao et celle de Vicente Pradal sans être bouleversé ?

 

            « Je me meurs de ne point mourir »…

 

            Tel l’épervier dans un ciel ardent s’élancent les beautés de « La nuit obscure ». A mon sens, c’est là la plus puissante composition de Vicente Pradal dont l’arrière grand-père fut l’instituteur de Lorca à Fuente Vaqueros ; des liens étroits unissaient les deux familles.

 

            « Dans la nuit nous sommes plus nus que jamais, car nous attendons ce moment, ce destin, toutes nos solitudes et nos peurs se réunissant pour se mettre à trembler, à bruire, à danser ensemble ».

(G. D. Huberman)

 

                        « Tu es mon premier amour ;

                        tu m’as appris à aimer ;

                        ne m’apprends pas à oublier,

                        je ne veux pas l’apprendre.

 

                        Si tu veux m’oublier,

       mieux vaut me tuer ;

       on prie pour les morts,

       non pour les oubliés. »

 

                                                                                            Hécate.

 

 

 

 

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31 mai 2010 1 31 /05 /mai /2010 17:41
         Le Pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
            Et nos amours
       Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
 
     Vienne la nuit sonne l'heure
     Les jours s'en vont je demeure
 
Les mains dans les mains restons face à face
            Tandis que sous
       Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
 
     Vienne la nuit sonne l'heure
     Les jours s'en vont je demeure
 
L'amour s'en va comme cette eau courante
            L'amour s'en va
       Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
 
     Vienne la nuit sonne l'heure
     Les jours s'en vont je demeure
 
Passent les jours et passent les semaines
            Ni temps passé
       Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
 
     Vienne la nuit sonne l'heure
     Les jours s'en vont je demeure

                              Guillaume Apollinaire 1880 - 1918

 


Interprêté par Serge Reggiani.

 

LETTRE A GUILLAUME APOLLINAIRE

 

 

Guillaume, la Seine coule toujours sous les ponts

Faut-il qu’il nous en souvienne

Tes pas sonnent encore sur les quais de Paris

 

Tu pleurais d’amour

Et dévorais la vie

Tristesse et appétit

Tout l’or des sirènes

Dans ton verre

 

Toutes les cuisines du monde

Dans ton assiette

Le goujon marié avec la marjolaine

« Brin de bruyère »

« Odeur du temps »

Brins de persils

Cheveux verts sur la nacre de l’œuf

 

Le jour a vieilli, le soir est neuf

La nuit écrit à la craie bleue

Comme au temps d’antan

Les menus aux ardoises des restaurants

 

Une croix de guerre

Au front une étoile rouge

Entre jadis et naguère

« Closerie des Lilas », un verre d’alcool

Le sang du monde

Et tout l’or des vins du Rhin !

 

Guillaume, la Seine se souvient de toi

Pour vos noces, elle changerait bien

Son eau en vin comme à Cana

Pour t’écouter encore dire tes vers

Avec l’aube debout sur les cageots des Halles

Et l’Herbe Sainte et les tisanes de Moselle

Quand tu emmenais à table les demoiselles

Costume clair avec chapeau, rubis au doigt

Et que sonnait ton rire de grand lama

 

De Montmartre à Montparnasse

Sans que leurs ombres jamais ne se lassent

Toujours passent et repassent

Dans le brouillard du passé

Le lent cortège d’Orphée

Peintres, amis, amours,

Les saltimbanques de la plume, les rimeurs

Et les anciennes voix des rumeurs…

 

« L’Ange gardien » et ses mauvais garçons

Les papillons de nuit au jardin des violons

Sur la Butte, la voix de Frédé

Et ta chanson, Guillaume, celle du Mal - Aimé

Tes rendez-vous au café «Vachette »

Pomone et Cérés, les fruits confits

La poésie, ton automne et ton été

Ta gourmandise, la galanterie, les fantaisies…

 

« Adieu saison qui finissez »

 

Quand vient la nuit et sonne l’heure

Tout s’en est allé et tout demeure

 

« Sous le pont Mirabeau coule la Seine »…

 

                                                                  écrit par Hécate

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