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21 décembre 2012 5 21 /12 /décembre /2012 10:29

      NOËL   Noël+1

 

Noël collier de lumière

Sur les sombres épaules de l'hiver

Aux frissons des frimas tu confonds

Les frissons de joie des enfants heureux...

 

Noël givre et scintillement

Sur les verts sapins aux senteurs de résine

Givre aussi dans le sel des larmes

Des petits enfants malheureux...

Noël+4

Noël festin de la chair

Aux vitrines combien de volailles sacrifiées

Parées pour la fête triomphante

Holocauste sur des dentelles de papier...

 

Noël étreinte de fer

Aux barreaux des prisons où attendent

Des hommes à la solitude brûlante

Consumée à la flamme de l’espérance.

 

Noël tourbillons et couleurs

Dans les boîtes de nuits hurlantes

Les femmes parées offrent au prochain

Des effluves de parfum comme l’encens et la myrrhe...

Noël+3 

Noël dentelles et guenilles

Aux branches de ta symbolique étoile

La nuit du riche et du gueux

Est un rêve de guirlandes et de pleurs...

  

                                                                                             Hécate

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10 décembre 2012 1 10 /12 /décembre /2012 18:34

Rouge Soutine coverRouge Soutine

de

Olivier Renault

 

          "Fils de tailleur, Chaïm Soutine (1893-1943) a fui très tôt le shtetl de Smilovitchi, en Russie, pour s'initier à l'art avant d'accomplir sa vocation à Paris. Ses couleurs fulgurantes, ses paysages affolés, au bord du cataclysme, ses portraits en font une figure majeure de l'expressionnisme. Sa légende tient autant à la place qu'il occupe dans l'histoire de l'art qu'aux mystères qui entourent son existence. Quand est-il arrivé à Paris ? Quelles relations entretenait-il avec les autres peintres de Montparnasse, notamment Modigliani ? Quel était son rapport aux femmes, à l'argent, à sa production picturale ? Comment a-t-il été révélé au grand public ? Cette évocation de la vie de Soutine en explore les zones nébuleuses et brosse un portrait en mouvement. Elle met en lumière l'intrication singulière de sa vie et de son œuvre."

  

          " Un rouge vif, sanguin, lumineux, qui deviendra la marque de Soutine, sa griffe, sa signature colorée. Lorsqu'il signait ses tableaux il le faisait de son fameux rouge incarnat et vermillon."

          Comme le Caravage il signe dans le sang.

          Au Louvre il passait des heures devant "Le bœuf écorché" de Rembrandt qu'il admirait avec une ferveur mêlée de crainte respectueuse : "C'est si beau que j'en deviens fou..." De quoi alarmer le gardien du musée !

boeuf écorché 

       "Depuis longtemps Soutine veut se confronter à son maître et peindre lui aussi des carcasses de bœuf. Peut-être a-t-il commencé à la Ruche ? C'est ce que pensent certains de ses biographes. La proximité des abattoirs de Vaugirard, les meuglements des bêtes dans la nuit qu'évoque Chagall, les discussions avec les bouchers au café du coin de la rue Danzig..."

 

          L'enfance de Soutine a été marquée par les rites sacrificiels des fêtes juives... " Il a souvent confié qu'à ce moment là il aurait voulu crier, mais que le cri lui restait dans la gorge, qu'il y est encore, et que peindre ses natures mortes est une tentative de libérer ce crlapin écorché 1921 1922i."

 

          En 1921, à l'exposition du café Le Parnasse, le lapin écorché marque le public. Mais Soutine va passer à la taille supérieure. Une carcasse de bœuf...Lui qui travaille lentement (de nombreux modèles en ont souffert : exigence fanatique d'une immobilité absolue.) la carcasse offre l'avantage de rester parfaitement inerte. Au bout de plusieurs jours d'atelier, la viande vire à la charogne...

Les versions de la réaction de Soutine sont diverses lorsque des employés du service d'hygiène viennent frapper à sa porte...

 

          Les légendes abondent autour de Chaïm Soutine. Une enfance pleine de zones d'ombres et les preuves pour la plupart sont anéanties. Soutine dit qu'il ne se souvient pas de la date exacte de sa naissance.

   Soutine 1934       Chaïm Soutine c'est une courbe d'émotion...Un père tailleur. Chaïm est le dixième enfant de la famille. Il y a une version de l'épisode avec ce boucher, il lui fait signe d'entrer, puis dans l'arrière boutique le frappe à coups de ceinturon...On sait que la famille de Soutine outrée, a menacé le tortionnaire. Un arrangement sous la forme d'une indemnité de vingt cinq roubles. La moitié revient à Chaïm qui quitte Smilovitchi. En 1912 il débarque à Paris.

 

          Une amitié immédiate se fait avec Modigliani, et ils cohabitent sous le même toit. En 1916 Krémègne rapporte :

          "Un jour je suis arrivé vers 11heures ou minuit à la Cité Falguière. Modigliani avait jeté tous les meubles parce qu'ils avaient été envahi par les punaises. Je suis entré...Modigliani et Soutine étaient couchés par terre. Il n'y avait bien sûr, ni électricité ni gaz. Ils tenaient une bougie chacun à la main ; Modigliani était en train de lire Dante et Soutine Le Petit Parisien".

 

          Soutine est à la fois pudique et impétueux. Il enferme ses tableaux à clef. Même avec la femme qui va partager sa vie et qu'il surnomme Garde, une allemande juive réfugiée comme tant d'autres à Paris pour fuir la montée du nazisme ;Soutine se montre peu loquace. Il ne lui dit rien de ses débuts difficiles et misérables à Montparnasse."- Tu es belle, tu ressembles à un Modigliani ." Ce ne sera qu'après sa mort qu'elle apprendra quel était le rôle capital de son entourage.

          Malgré son interdiction Garde l'a vu au travail.

 

          "Il lui arrivait d'étaler la peinture avec ses mains enduites de couleurs, et la pâte restait sous ses ongles. Il ne faisait aucun dessin préparatoire, attaquant son sujet avec les pinceaux et les couleurs. Ses couleurs préférées : rouge vermillon, cinabre incandescent, blanc d'argent. Il me semble qu'il affectionnait le vert Véronèse et la gamme des verts-bleus qu'il utilisait pour peindre les feuillages des arbres. A la fin il jetait sur la toile des traînées de jaune d'or qui faisaient apparaître les rayons de soleil dans ses paysages."

 

          Les opinions sur Soutine diffèrent. Certains le disent laid, d'autres le trouvent beau. La muse de Foujita et de Desnos disait qu'il avait un charme extraordinaire.

 

          "Tous les témoins ont insisté sur la beauté de ses mains, de ses longs doigts d'artiste, ainsi que sur ce geste qu'il a souvent, de ramener la main devant sa bouche lorsqu'il parle, soit par gêne, soit pour ne pas incommoder l'interlocuteur avec son haleine, alors que l'ulcère est au travail..."

 

          En 1923 on l'a vu assis au bord d'un chemin de village avec sa boîte à couleurs et son chevalet posés à côté de lui. Des heures plus tard, il est là, toujours assis, la tête dans les mains. "- Pourquoi cette longue attente? Et Soutine de répondre : - J'attends que le vent se lève."

          Soutine est le peintre qui a rendu le vent visible.

 arbres sous le vent

 

          "J'assassinerai un jour mes tableaux ! " avait dit Chaïm Soutine. Quand il peint, il est dans un état second. Il détruit facilement ce qu'il estime n'être pas bon. Travailleur et artisan de l'art, peu enclin à fréquenter les gens fortunés, il sfrene-de-vence-chaim-soutinee sent bien avec les villageois, les paysans. La notoriété n'aura guère d'influence sur son caractère et son comportement. Tourmenté, inquiet, il n'aime pas être vu à l'œuvre. Un jour qu'un curieux le regardait à peindre le grand frêne de Vence, Soutine prend sa toile et y fout son pied dedans.

 

          "S'il s'habille désormais avec raffinement, il n'a malgré tout qu'un seul complet, bleu marine croisé, quelques chemises et une unique paire de chaussures. Vestiges des temps de misère où, dans des lieux peu sûrs, les voleurs rôdaient : il ne fallait rien posséder qui puissent les attirer. Le seul luxe de Soutine, ce sont des chapeaux gris, élégants, fort coûteux. A l'arrivée de l'hiver, il s'achète un par-dessus. Pour le reste, il ne détient que sa tenue de travail de peinture...

          Pour l'argent, Soutine conserve ses vieilles habitudes : il transporte son pécule sur lui, dans la poche intérieure de sa veste, ou le cache dans des endroits improbables. Les banques ne lui inspirent pas confiance..."

 

          Souvent accusé d'égoïsme, Soutine est aussi capable de rendre service. Il brise ses meubles pour faire du feu par une nuit glaciale alors que deux modèles grelottent et lui demandent de les héberger pour dormir. Kiki devenue célèbre n'oubliera pas cette générosité désintéressée.

 

          "Les juifs de France sont de plus en plus menacés. Ils ont ordre de se faire recenser avant le 20 octobre 1940. Soutine se soumet à cette obligation. Garde passe quelques jours au Vel d'Hiv avant d'être transférée à Gurs dans les Pyrénées-Atlantiques. Elle finira par sortir de ce camp de concentration...Mais elle ne reverra jamais l'homme qu'elle aime."

 

          Pour Soutine, à nouveau l'errance. Marie-Berthe Aurenche (épouse de Max Ernst) qu'on appelle Ange Noir va être présenté à Soutine. "- Quelle imprudence !" aurait dit Maurice Sachs.

          Muni de fausses cartes d'identité, Chaïm Soutine et l'Ange Noir vont vivre d'auberge en auberge à Champigny-sur-Veude dans un premier temps. Dans une ferme sur la route de Chinon, Soutine  se remet à peindre.

 school

 

          " De nombreux paysages à dominantes bleu et vert, ponctués de petites touches de rouge, comme un rappel : une toiture, une cabane lointaine, quelques fleurs, sa signature. Si le rouge se fait plus discret, c'est sans doute qu'il y a assez de sang et de fureur dans l'histoire en cours...La douceur de la Touraine peut-être, ou le désir de répondre  par de la quiétude à la violence des événements...Soutine veut guérir et vivre."

 

- Vous avez été très malheureux Soutine ? lui demande-t-on. L'air surpris, il répond.

- Non ! Pourquoi ? J'ai toujours été heureux.

 

          Paradoxe ? Joie orgueilleuse ? Simple dénégation ?

 

          Les toiles de cette période ne sont jamais tendues, mais punaisées à des cartons ou des planches, ce qui lui permet de couper et de réduire le champ de sa peinture, dira Laloë qui le fournit en couleurs.

 

          Les disputes avec Marie-Berthe n'arrangent pas son ulcère. A l'hôpital de Chinon où il se tortille comme un ver, il demande à être opéré. "Sa compagne s'y oppose. Par inconscience ou par pure panique ? On l'ignore..."

 

          Le 7 aout 1943 ramené à Paris par une ambulance,  il est aussitôt opéré de son ulcère  perforé devenu cancéreux, il est trop tard.

 

          Chaïm Soutine repose au cimetière Montparnasse. La pierre tombale est discrète, une dalle de granit noir. Non loin de la tombe de Baudelaire.

 

          Quand Modigliani déclamait Dante (La Divine Comédie ne le quittait jamais,) Soutine attendait d'être rentré pour lire Baudelaire a écrit Dan Franck que je viens de relire.

 

          Modigliani est au Père-Lachaise...

 Glaieuls

          "Il faut dix verres à Soutine pour qu'il se perde un peu à lui-même, accepte de se lever et d'esquisser quelques pas d'une danse maladroite qu'il accompagne de deux couplets en Yddish. Après quoi, il se rassied et pleure...

 

          Un peu plus tard, si Amedeo demande à Soutine de chanter de nouveau, il répond qu'il ne sait pas.

 

- Alors dis quelques mots en Yddish.

- Je ne connais pas.

- Mais hier...

- Tu n'as pas bien entendu.

- Et ton prénom ? Chaïm, ça ne veut pas dire vie ?

- J'ai oublié."

                                                                                                                                                       affiche expo                                             Hécate.

    

 

 

Exposition temporaire Chaïm Soutine, l'ordre du chaos.

Musée de l'Orangerie

3 octobre 2012 - 21 janvier 2013

 

 

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24 novembre 2012 6 24 /11 /novembre /2012 15:56

24 11 2012 Hécate 012

AUTOMNE
Enfin l’automne
Pour excuser ce froid mortel au cœur
Ce pincement frileux que ne réchauffe aucun soleil,
Pouvoir pleurer sous la pluie en marchant
Sans que se voie l’indécence des larmes.
Enfin l’automne
Et fermer portes et fenêtres à tout ce qui importune
Comme si le mauvais, pareil au vent
Ne pouvait s’infiltrer de force
Comme cette odeur de pourriture qui monte
Jusqu’au ciel du fond des forêts assassinées.
Automne
Enfin des nuits plus empressées
Et des feuillages de sang
Comme des plumes d’anges tombés des enfers.
Saison qui s’achève comme une vie qui s’arrête,
La douleur pourra s’apaiser au vin de la treille.
Automne
Au pressoir de tout ce qui fût
Chagrins et joies devenus élixirs,
Débauches d’icônes avant la cantate hivernale
Dernières exaltations, vols fous d’oiseaux,
Soulagement ultime de l’âme
Enfin se reposer dans l’hiver, bientôt...

 

Hécate

 

24 novembre 2012 bord de loire 084 bis

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6 novembre 2012 2 06 /11 /novembre /2012 15:15

couverture La CasatiLa Casati

de

Camille de Peretti

 

          "La marquise Casati avait eu des chaussures en diamant, teint ses cheveux en vert, fréquenté les plus grands artistes, pris toutes les drogues possibles, organisé des bals spectaculaires, aimé un boa constrictor, défrayé la chronique et habité au Ritz... Elle offrait désormais le spectacle terrifiant d'une reine déchue, d'une femme qui a connu toutes les splendeurs de ce monde et fini dans la misère. Sa vie ressemble à un conte de fées qui vire au drame ; née héritière de l'une des plus grosses fortunes d'Italie, elle mourut clocharde. C'est peut-être cela qui m'a le plus attirée, le vertige de la perte. Moi qui suis si raisonnable."

C. P.

 

 

          " Luisa avait retourné cent fois le problème dans sa tête, puis elle avait tranché. Il faudrait du noir qui brille. Et du violet. Deux couleurs chères aux sciences obscures. Elle serait la sorcière qui fascine, la magicienne. Toutes ses visites dans les musées d' Europe seraient mises à profit. Luisa possédait une acuité graphique, un sens de l'effet produit exceptionnel. Enivrée par l'odeur de térébenthine, elle se tenait immobile. Elle voulait être parfaite, faire jaillir des flammes de ses yeux, surgir du tableau. Certaines  grandes mondaines demandaient à être représentées avec leurs enfants. Luisa avait choisi un lévrier noir. Tenu en laisse, un collier d'argent cerclant son cou racé. Un chien nerveux comme elle... Giovanni Boldini (1842-1931), La Marchesa Luisa Casati (188

  

          Sur cette immense toile de 1,40 mètre de large par 2,52 mètres de haut, seuls le regard et la main sont arrêtés. Tout le reste est en mouvement, le flou ample de la jupe, même le bouquet de violettes qu'elle porte accroché à sa ceinture semble virevolter. Mais la netteté du gant blanc qui tient la laisse du chien donne une autorité implacable à cette femme...Dans une perspective inclinée de manière très subtile, le peintre la fait pencher vers lui et les spectateurs. Cette légère plongée exerce une forme de magnétisme. Luisa nous aspire...

 

          Cette toile était devenue sa raison de vivre, jour et nuit, elle l'obsédait. Luisa voulait voir son âme capturée...Elle était toute en tenue et retenue. Tenaillée par une veste corsetée, une longue jupe de soie noire et un châle de satin violet enroulé autour de ses bras gantés. Le pelage du chien se confondait avec la robe dans des reflets luisants et agressifs."

 

          boldoniGiovanni Boldini passa plusieurs semaines à peindre ce tableau. Il chantait en taillant ses crayons perché sur son escabeau. Luisa bouillait d'impatience. A la fin de chaque séance, il retournait la toile contre le mur. Le dernier jour, autorisée à s'avancer et à contempler son oeuvre, Luisa reçut un choc terrible.

            "La femme à l'allure machiavélique qui se dressait devant elle dépassait ses espérances. Immédiatement, elle voulut que tout Paris voie la toile. Elle supplia Boldoni de l'exposer au Salon."

 

          La vie de la Casati ressemble à un roman. Le livre de Camille de Peretti n'est ni tout à fait un roman, ni tout à fait une biographie : " Je cherche des liens entre Luisa et moi...Des pans entiers de la vie de Luisa restent muets. Elle vient me  rendre visite en songe pour me tirer de ce mauvais pas " écrit-elle.

 

          "Une muse c'est une page blanche, une toile vierge, une femme nue que l'on souhaite transfigurer. Une muse c'est le point de départ qui rend l'artiste fou et le fait rêver. Créer c'est faire quelque chose avec du rien."

 

          Comment Luisa Casati est-elle devenue cette instigatrice extravagante qui inspire encore ?

 

          Elle a treize ans quand sa mère meurt.

 

          Elle avait tant aimé regarder les revues de mode éparpillées sur le tapis du salon rococo ; elle rêvait devant les illustrations. Elle découpait souvent les pages des périodiques et agençait des collages bizarres avec la permission de sa mère.

 

          Le 22 juin 1900 Luisa Amman épousait le marquis Camillo Casati. Elle était riche, il avait un titre. Le mariage représentait ce qui berçait ses rêves de liberté. Elle était une jeune femme encore timide et esseulée qui attirait les regards.

Elle était fascinée par les artistes. Elle les croyait libres.

 

          "Vous avez un sourire archaïque. Je vous appellerai Koré, comme la déesse des Enfers ..." lui avait dit Gabrielle D 'Annunzio qui s'arrangeait toujours à lui murmurer des phrases qu'elle se répétait ensuite.

 

        d'annunzio  " Il était poète et écrivain. Il était petit et trapu, il était chauve, il avait des manières d'homme-loup raffinées et brutales mais sa préciosité ne connaissait pas de mesure. Ses lévriers gris dormaient dans des lits de soie, il aimait ce qui brille. Il aimait la vitesse. Il avait été le premier à acheter une automobile.

 

          Comme Don Juan, il n'en a jamais assez. Et pourtant il les avait toutes eues. Toutes les femmes, de Rome à Milan en passant par Paris, ont couché dans son lit. Serait-elle la suivante  ?  La relation de Luisa avec D'Annunzio fut plus qu'une histoire d'amour, elle fut le point de départ d'une révolution intérieure...Elle se libéra. Il la faisait rêver et rire.

 

          D'Annunzio disait que le cœur de Luisa était un cœur d'homme. Les rumeurs et les cancans allèrent bon train. Toute autre qu'elle en aurait souffert. Mais Luisa accédait enfin à la célébrité et cela la remplit de joie. Elle soigna davantage son apparence, et s'autorisa quelques gouttes de belladone pour dilater ses pupilles. Ajoutant ainsi un frisson d'effroi au mystère qui l'entourait déjà."

 

          Camille de Peretti semble n'avoir lu D'Annunzio que pour mieux comprendre ce qu'avait pu ressentir la Casati en découvrant son œuvre phare "L'enfant de volupté", un roman passionné paru en 1889 dont le héros est un  dandy, poète et aristocrate en qui  esthétisme et érotisme luttent et se font complices l'un de l'autre.

            Alors que j'étais à songer à cette chronique je me suis souvenue que l'envie de lire D'Annunzio m'était venue après avoir vu, il y a des années de cela, un film de Luigi Comencini : "Mon Dieu comment suis-je tombée si bas ".

 

          On dit que D' Annunzio en écrivant "Forse che si, forse che no" s'était inspiré de Luisa Casati dans la description de l'un des personnages féminins, man ray 1935 la marquise casati potraitIsabella. J'ai repris ce livre et cela me paraît être une évidence flagrante. Isabella  "telle une enchanteresse   portait son visage de démon, non comme un masque de chair, mais comme le sommet de son âme enflammée dans le vent sonore et voilé de ruse...Ses yeux paraissaient avoir perdu leur pupille, étaient privés de leur antre, pleins d'un tremblement clair de forces qui jaillissaient de ces ténèbres comme les sources dans le lit des fantasmes. Et le trait noir dessiné au bord des paupières par l'art matinal persistait avec netteté soulignant la clarté inhumaine des iris, élargissant les larges orbites, aiguisant la beauté par le désir de la rendre plus aiguë." ( G. D'Annunzio )

 

          La Casati s'était installée à Venise, elle y avait fait l'acquisition du Palazzo Venier dei Leoni. A grand renfort d'artisans, de marbres et de jaspe importés, de doreurs  et de sculpteurs, elle redessina entièrement l'intérieur.

pallazzo dei leoni             Aujourd'hui, les visiteurs y déambulent pour admirer les toiles de Pollock et de Picasso." Peggy Guggenheim, une autre femme indépendante, riche et collectionneuse d'art, l'a habité après Luisa et en a fait un musée."

 

          Entourée d'oiseaux, de singes minuscules, de guépards, Luisa eut un boa constrictor, Anaxagarus qu'elle enroulait autour de son bras ou de son cou pétrifiant plus d'une fois son entourage !  Ce serpent est peut-être ce qu'elle a le plus aimé...

 

          La photo faite par le baron Adolf de Meyer en 1912 fit le tour du monde.  " Pearls with Luisa Casati by Adolf de Meyer 1912Un sautoir de perles enroulé autour de ses poignets, le menton posé sur ses bras croisés, le regard de la marquise est rivé à l'objectif. Ses pupilles, qu'elle dilatait maintenant chaque jour avec des gouttes de belladone au mépris du danger de finir aveugle, nous hypnotisent.

 

          Ce serait une erreur de faire de la Casati une femme fatale ; Luisa n'était qu'une immense solitude. Une femme trop extravagante, trop délirante pour être aimée, achetant l'attention, les amis à coups de fêtes splendides, les regards à coups de tenues spectaculaires et l'inspiration des peintres à coup de pièces sonnantes et trébuchantes."

 

          Un tourbillon de noms devenus célèbres entoure la Casati. Van Dongen le peintre des névroses élégantes, tiré de la misère qui disait : "L'essentiel c'est d'allonger les femmes et surtout de les amincir. Après cela il ne reste plus qu'à grossir leurs bijoux. Elles sont ravies."

 

          Fortuny à qui elle avait commandé une robe damassé d'or et de grenat, Bakst qui lui avait dessiné une robe indo-persane digne desluisacasati augustus john Mille et Une Nuit...

         

            Augustus John dont le portrait qu'il fit d'elle inspira Jacques Kerouac qui lui dédia le poème "San Francisco"...Casati by man ray 2

 

  

 

          Man Ray alors jeune photographe qui pensait sa photo ratée et dont Luisa s'enthousiasma, estimant que c'était là son âme ! Trois paires d'yeux !!! La photo fit le tour de Paris !

 casati par romaine brooks 1920

 

 

   

 

      Romaine Brooks dont elle fut l'amante...Picasso  lui inventant une robe cubiste avec un système de lumière intégrée qui faillit l'électrocuter...

 

          " Luisa fut un mécène, une mondaine enthousiaste et généreuse qui savait ouvrir son portefeuille et son carnet d'adresses. Lancer des artistes, détecter le beau où d'autres ne voyaient que des taches. Et tomber dans l'oubli..."

 

          Des centaines de peintres, de sculpteurs, de photographes ont montré d'elle d'innombrables facettes. Elle avait demandé à Martini de la peindre avec Anaxagarus lové à ses pieds, mais le boa mourut d'une pneumonie avant. Les meilleurs vétérinaires n'avaient pu le sauver.

 

           " La légende rapporte que, après Cléopâtre et la Vierge Marie, elle a été la femme la plus représentée dans l'art."

 

          Peut-être que le soir à Venise les façades des vieux palais se souviennent d'une gondole couverte d'orchidées où s'enlaçaient la Casati et D'Annunzio...

voie Appienne 2

          Peut-être que certaines nuits de pleine lune, le long de la voie Appienne parmi les tombes, ils reviennent comme lorsqu'ils appelaient les esprits des héros et que le vin tiède avait parfumé leurs bouches...

 

                                                                                                          Hécate

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14 octobre 2012 7 14 /10 /octobre /2012 17:33
DERNIERES DEMEURES   

 cimetière de Tours 13 octobre 2012 046 bis

 

 

Il fut un temps où furent les urnes funéraires

Eclat des croix d’argent répondant à la pâleur des cinéraires

Vert pâli aux larmes des souvenirs d’antan avec le vent,

Carrefours et corridors de pierres, hommage au temps

Où dorment les hommes, les femmes, les enfants d’hier

Après la grande fête de la douleur jusqu'à la mise en bière

Demain altérera, oubliera, fanera toute ombre de souvenir

Passé dépassé, fondu avec la pourriture pour avenir.

L’âme comme un oiseau au profil nécrophage

Etendait une ombre complice pour l’ultime voyage

Il fut un temps où le survivant au cœur des ténèbres

Vit des spectacles surprenants dans ces décors funèbres,

Chapelles brisées, vitraux éclatés, pierres dérangées

Rats en fuite, orfroi de la lune, effroi de l’être par le froid glacé.

Gisants de marbre comme foudroyés par l’éternité,

Vers le sombre empire de Thanatos, à jamais retournés,

Sort commun du commun des mortels dans le futur du devenir,

Ecrins baroques de l’après-vie, dernières demeures destinées à périr.

 

Hécate

 

cimetière de Tours 13 octobre 2012 033

cimetière de Tours 13 octobre 2012 035 

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8 octobre 2012 1 08 /10 /octobre /2012 17:23

Orphée (11)"Orphée" sort des enfers,

 

 

 

 

annonçaient les Editions La Différence au printemps 2012.

 

  

« Le mythe raconte que la tête d’Orphée, tranchée par les ménades chantait toujours dans le courant du fleuve l’emportant… C’est d’une certaine manière, cette voix indestructible qui se fait entendre contre vents et marées de la sauvagerie marchande… »

  

          Le retour de la collection de poésies "Orphée" fondée en 1989 par Claude-Michel Cluny est un événement.

 

En 1998, face aux difficultés financières l’éditeur ne voulant pas pilonner les livres, les soldait chez les bouquinistes. Après des mois passés à racheter les exemplaires disséminés, la collection de poche "Orphée" revient au grand jour en librairie.

 

          « Pour ceux qui la connaissaient, il n’y aurait presque rien à ajouter puisqu’ils la regrettent depuis déjà quatorze ans. Pour les autres, que cette nouvelle laissera sans doute de marbre, on serait tenté de croire que son originalité et l’engouement qu’elle a suscité éveilleront leur curiosité. » (Louise Bastard de Crisnay / Libération 24 mai 2012.)

 

          Un nouveau dessin signé de l’artiste serbe Milos Sobaïc figure sur les couvertures qui obéissent à un code couleurs précis : la couleur du fond correspond au continent dont est originaire l’auteur ; celle du titre, la langue dans laquelle il écrit.

 

          « …l’essentiel est de trouver des traducteurs et des préfaciers qui soient de véritables passeurs et de permettre au lecteur, grâce à l’édition Pomar,-C-M-Cluny,-1991bilingue, de s’interroger sur l’origine des choses. Car elle nous oblige à penser qu’un poème, même si on n’en comprend pas la langue, vient d’une culture et d’une histoire qui n’est pas la nôtre.  36 titres étaient publiées chaque année, édités à 5000 exemplaires ; désormais six nouveaux recueils par ans, et la réédition des titres épuisés. » (Claude-Michel Cluny)

 

En avril j’avais écrit une chronique autour du poète Adonis né en 1930 et dont la vie s’est partagée entre la Syrie, son pays natal, le Liban et la France. Dans « Chronique des branches », les textes arabes ont été calligraphiés par l’auteur. Le recueil s’ouvre sur le poème :

 

  Miroir Pour Orphée

 

Ta lyre mélancolique, Orphée,

Ne peut changer notre levain.

Elle ne sait façonner pour la bien-aimée captiveadonis

Dans la cage des morts

Un lit d’amour alangui,

Ni bras, ni tresses.

 

Orphée, il meurt, celui qui doit mourir,

Le temps qui court dans tes yeux

Trébuche, et entre tes mains

Se brise la lyre.

 

Je te vois maintenant, tête qui glisse

Entre les rives. Toute fleur est chant

Et l’eau une voix.

 

Je l’entends maintenant, je t’aperçois,

Ombre libérée de son orbite

Inaugurant l’errance. 

 

« La poésie est la première parole. Mythes, épopées, oracles, voix des mystères et des mystiques, puis de l’amour, de la révolte, de l’espoir ou de l’humour, de la vie quotidienne et de la solitude.

Introuvables ou retraduites, classiques ou contemporaines, familières ou méconnues, ce sont ces voix innombrables que la collection Orphée souhaite faire entendre parce que plus que jamais elles sont nôtres. »

 

http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4458557 

 

Hécate.

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17 septembre 2012 1 17 /09 /septembre /2012 16:05

Beaumont la Ronce 50 bis

 

Prière

 

Parle-moi de ce temps-là

Où j’étais l’orpheline d’un enfer

Traversé comme on traverse les ronces

Sans voir les déchirures sur la peau

Parce que les yeux aveugles

Ne guident plus que vers l’intérieur d’un passé perdu.

 

Parle-moi de ce temps-là

Ou bien d’un autre encore

Ce temps d’avant les cimetières

Décors de mes consolations amères

Où j’allais nourrir mes chimères, mes espérances

Dans ces jardins d’acclimatations.

Les brûlures de juin ou de juillet

Ne chauffaient jamais assez mon corps

Habité sans cesse de ce froid mortel

Où mon âme hurlante, enterrée cataleptique,

Réveillée chaque jour à la vie terrible

Attendait, tout en n’attendant plus !

Est-ce que la durée existe pour la douleur d’être ?

 

Parle-moi de ce temps-là

Où j’avais contracté si fort la haine et la peur,

Cet envers de l’amour désespéré et trahi,

Que mes rêves se ponctuaient de couteaux

Qui déchiraient, lacéraient, tuaient des fantômes

Plus incarnés que les vivants,

Ennemis debout dans la marge où je me tenais

Fuyant les ordinaires, les insipides, les normaux

Ceux qui ne connaissent de la beauté

Que la force du canon

Le reçu des idées, les rangements forcés

Des sentiments dans les bons casiers

La naphtaline des armoires lingères

La convention des trousseaux de mariées.

Je portais le voile de tulle de mes noces

Avec la mort qui m’avait tout pris

Avec la vie qui ne voulait rien me donner.

Entre serpents et chiens qui parlaient,

Entre le corbeau mort qui se taisait

Et le ciel noir de ma mélancolie contagieuse,

Entre folies et visions atroces

De la somptueuse réalité

Nue, malgré ses artifices

Sous ma langue qui la crachait, la dénonçait…

 

Parle-moi de ce temps-là

Où je n’étais pas encore cette misérable égarée

Malvenue dans un monde carcéral

Avec les mots au bout des doigts

Qui ne savaient même pas

Si la page se ferait oiseau voyageur

Pour envoler le pressant message,

Indécrypté de moi-même…

 

Parle-moi de ce temps-là …

C’était un temps de violent soleil sauvage,

De bougies dans les nuits

Dont j’étais la cire avec pour support de la flamme, le chagrin.

Mes pleurs n’éteignaient rien.

Acide rongeur de ma vie écorchée

Tombée dans des lits de fièvres,

La maladie me prenait dans ses bras

Et penchait sur mon front en sueur

Sa bouche qui me dictait les délires,

Désirs atroces de ce temps d’avant…

Appel du baume guérisseur…

 

Parle-moi de ce temps d’avant !

 

 Hécate

 

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28 août 2012 2 28 /08 /août /2012 11:35

coverLes Contes d'Orsanne

de

Robert Alexis

 

 

      Les "Contes d’Orsanne", une suite de trois récits qu’on se risquerait à situer entre réalisme et fantastique, mettent en scène un même personnage en différents lieux et différentes époques : Loudun en 1647, un hameau des Deux-Sèvres en 1956, la ruine d’une ville et de sa "fabrique"  dans un futur indéfini.

 

      Une fois encore, chez l’auteur de "La Robe", la sexualité occupe sa mission de recherche, puissant levier sous les sphères écrasantes du réel, de la nature et de l’humain. Une fois encore, l’enquête menée sans relâche par celui qui affirme haïr la condition qui nous est faite en ce monde, trouve dans ce roman de quoi s’alimenter aux feux de la pensée et des actes.

 

      Robert Alexis aime à dire qu’il visite les enfers. Peut-être, après tout, est-ce pour nous en protéger.

 

   

          De l'auteur de "La robe" le monde littéraire ne savait rien. Robert Alexis dans le chatoiement d'un tissu incandescent surgissait de nulle part dans un phrasé aussi confidentiel qu'anonyme. Comme l'aube d'un jour étrangement comparable à la naissance d'une légende il commençait à poser les jalons d'une intrigue identitaire.

  

            Sur la première de couverture des "Contes d' Orsanne" il apparaît comme dans la pénombre d'un tableau entouré de trois femmes, autant de fractions d'effractions dans le temps en un jeu qui reprend le Je narratif de "Nora" et qui encore va multiplier les enjeux dans les ambivalences du désir d'être. Au "Je", plaisanterie grammaticale de Klossovski succède l'épigraphe de Barbey d'Aurevilly : "Il y aura toujours de la solitude pour ceux qui en sont dignes".

 

          Le narrateur est seul ou presque.

 

          "Nora était partie. En quoi avais-je pu être menaçant pour elle ? Un malaise pèse sur les lieux...Une menace ?...

          Orsanne avait de quoi faire peur, son toit éventré, ses façades lézardées, et puis ce qui l'entourait : les forêts d'épicéas lugubres au crépuscule, l'étang et sa bordure d'ajoncs, le chemin qui y menait...Oui peut-être était-ce bien là d'où venait la menace. Je ne cherchais pas à être heureux."

 

          Robert Alexis reprend ce ton confidentiel propre à égarer, à attirer...Il apparaît hors de l'ombre pour mieux nous y entraîner.

            Il est le Seigneur du château et s'y amuse avec la gravité qu'on lui connaît.

 

"Oui ! Vraiment ! J'aimais être écrivain !"

 

          Comme un démiurge dans son laboratoire le narrateur observe, se livre à ses occupations familières...une vie qui lui permet de sonder le monde et de tremper la main dans le temps et les matières...

          "Je tâtais en aveugle des couloirs de vents tièdes, aimables mais inutiles. Sous la beauté un mécanisme agissait dont personne ne savait rien...le roman permettrait deux entrées nécessaires à sa compréhension : un amour infini car, vraiment pouvait-on espérer planète plus charmante ? La méfiance infinie, pour laquelle j'étais né."

 

          Entre chaque conte, l'entracte ouvre sur un intime qui tout en livrant joue encore sur la fantasmatique où puise tout créateur. Comme autant de reflets où brouiller son image, où entrapercevoir l'identité mouvante de l'être. Thème qui est dans toute l'œuvre de Robert Alexis, une traversée dans le temps où passé et futur semblent tissés de la même fibre que celle de la tunique de Nessus destinée à brûler, à consumer la chair. Amour et haine fusionnés par une Nature aussi fascinante que destructrice dont le désordre obéirait à un ordre du Chaos originel.

 

          "Quel était ce monde qui se jouait de nous ? Je n'en avais pas fini avec lui. Je n'en aurais jamais fini."

 

          L'heure est aux ombres du passé dans le premier conte "La fabrique", froissement d'étoffes dont se nourrit le désir, maître du mystère, sordide ou majestueux.

 

          "Un personnage peut-il échapper à son auteur ? Oui, quand le récit s'achève et qu'il glisse avec ses comparses dans un univers dont le créateur n'a plus aucune connaissance."

 

          Galerie des miroirs où passe le fantasme en tous ses atours et détours...Un frisson qui glace un peu...et éteint le teint !

 

          " Reflets inexacts, suite de morts et de naissances, une suite d'essais !" les diables de Ken Russel

 

          "Loudun" est une variation sur la sulfureuse et célèbre affaire des religieuses possédées par le démon et le non moins frénétique procès d’Urbain Grandier. Comment ne pas penser  au film "Les diables" de Ken Russel, aux scènes d'exorcismes délirantes d'obscénités !

 

          L'opportunité pour ce diabolique écrivain d'approcher au plus près le Christ.

 

          "Jésus, divin oubli ! Tu es venu pour nous parler des nuits. Elles sont chairs, elles sont l'âme, nous en sommes tissés."

 

Et si Barbey d’Aurevilly est le fil conducteur comme cela semble l’être, je pense à "L’ensorcelée", à ce prêtre singulier "qui avait le secret de consoler par l’orgueil les âmes ulcérées, comme s’il avait été un ministre de Lucifer au lieu d’être l’humble prêtre de Jésus – Christ".

 

          De l’an 1647 à Loudun, nous voici en hiver 1956 dans les Deux – Sèvres. En une ligne le printemps est là, comme si l’hiver n’était ici qu’un prétexte, une mise au tombeau provisoire, une transition puisque le narrateur nommé lui aussi Grandier, accentue le léger vertige du décalage dans le temps, et déconcerte imperceptiblement, délicieusement. "Passé, présent et futur ne sont rien comparés aux marges des possibilités. "

 

          Le Conte d’été commence, éblouissant retour à la vie, à la nature, à l’amour. "J’étais encore à l’âge où l’on se croit différent des autres…"

          Quatre femmes aussi étranges que belles, les tantes du narrateur, autant de visages de la féminité, autant de figures initiatrices. "C’était à celle qui se montrait la plus prévenante, il fallait rattraper le temps perdu, elles ne me laisseraient plus jamais seul, quatre fées enchanteraient ma vie d’homme naissant à défaut de s’être penchées sur mon berceau. "

 

          "Peut-on  souffrir d’être heureux ? "

 

          "J’appris les différences en l’acacia et le robinier, l’orme et le charme, les sortes de Gustave Dorépins, de hêtres, de chênes, de saules, je m’initiai aux feuilles lobulées, acuminées, lancéolées, pennées ou serrulées, aux types d’écorces, de frondaisons, de fruits, de racines. Moi qui ne connaissais guère que le platane des villes, je découvrais un monde fantastique où se mêlaient les considérations savantes et l’imaginaire excité par des formes suggestives, bras lancés dans le vent, logis des elfes, des êtres légendaires. L’arbre était fait pour les contes, les forêts profondes de Gustave Doré, les jungles du douanier Rousseau, « et savez-vous pourquoi ? Parce qu’il dit ce que nous sommes. Comme lui, nous sommes faits de mouvements immobiles, tête aux étoiles et pieds enracinés, parce que ses ombres et ses murmures sont les nôtres, ses variations aussi. Les formes sont le langage de l’univers. Elles sont dans l’arbre plus visible qu’ailleurs, placées sous le regard avec la divine tranquillité des icones, une solennité que n’ont pas les autres vivants. »

 

Editions José Corti  2012.

A paraître le 6 septembre

                                                                                                                                                        Hécate

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31 juillet 2012 2 31 /07 /juillet /2012 13:08

COVER 

 

Physionomies végétales

Datura

 

 

 

 

Portraits d’arbres et de fleurs,

d’herbes et de mousse

 

Elie Reclus

 

A l’Enchanteur Aiolos

 

 

 


             C’est là une livre fort curieux écrit par Jean – Pierre – Michel Reclus qui naquit le 11 juin 1827, toujours connu sous le nom d’Elie, dû à son parrain un parent éloigné.

 

             A l’âge de deux ans Elie a eu un accident assez grave. Au-dessus de la maison familiale aux grandes et rares fenêtres à demi-fermées par des volets rouges, un grenier formait un deuxième étage. Par un de ces trous, où se glissaient les chats et les rats, le petit garçon eut le malheur de s’insinuer à son tour, et c’est de là qu’il tomba, le front en avant, d’une dizaine de mètres, sur le pavé disjoint. On le crut mort : crâne fendu, sang ruisselant entre les pierres. Elie survécut, ne gardant qu’une cicatrice au côté gauche du front.

 

 

 

             Cette aventure permit plus tard aux professeurs plus ou moins facétieux de plaindre Elie « d’être timbré » quand ses questions  paraissaient trop intelligentes !

 

 

 

             Elie était un enfant très doux, silencieux et rêveur. Pendant un de ses séjours chez ses grands-parents maternels, un beau soir d’été alors que la pleine lune montait au levant, Elie, sur sa petite chaise ne disait mot. On l’appela pour le coucher, l’enfant ne bougea pas.

-          Es-tu sourd ? A quoi penses-tu ?

-          C’est que je voudrais tant être assis sur la lune, et me promener dans le ciel comme les étoiles !

             Désormais pour une bonne partie de la famille, Elie fut un songe-creux, un chevaucheur de nuées.

 

             C’est là un livre très curieux, oui… qui parle entre autre de la dualité de la Douce – Amère, une plante qui abonde dans les lieux humides.

             Elie  Reclus un amoureux des plantes, des fleurs , des arbres… trop peu connu de son vivant pour ses écrits là !

 

 

 

          DOUCE-AMERE   « La Douce – Amère, c’est la Proserpine, c’est Vénus Libitina, charmante et redoutable. De la fleur de cette Solané part une effluve bleu, une effluve jaune. Tout ce qui est doux devient amer et tout ce qui est amer devient doux. C’est la grande contradiction qui est dans les choses et fait le fond de la morale de la vie.

 

             Ce dualisme universel est exprimé par la Douce – Amère qui a revêtue deux couleurs qui se haïssent : le violet et le jaune.

             C’est une dissonance chromatique et, en fait une beauté et une harmonie supérieure.

J’aime le nom de la Douce – Amère parce qu’il me fait rêver. Elle est ceci, elle est cela. J’aime la Douce – Amère, car elle rappelle ceci ou cela. J’aime la Douce – Amère. Elle me dit de belles choses et je me souviens de beaucoup par les visions qu’elle évoque. Car cette fleur est ceci, elle est aussi cela.


 

            Il est impossible d’aimer sans mélange. L’amour est le concentré de la douceur et de l’amertume. »

 

 

             C’en fut assez pour m’enthousiasmer. J’aime autant la botanique que je la méconnais. C’en fut assez pour que prise d’engouement pour ce livre, je me sois mise à écrire ce billet, assez pour décider de le dédier à un Enchanteur qui m’emporte aux nue avec ses ciels, ses fleurs et ses oiseaux et ses histoires égrenées comme le vent sème ses rêveries au soir quand dorment les grues !

 

             « Vous rappelez-vous dans « Faust » la double scène d’amour ? Vont et viennent dans les allées du jardin fleuri le beau Faust et la belle  Marguerite, Méphisto et Marthe, l’impudique créature ? Vont et viennent les deux couples ; ici l’extase et la tendresse, là, la gaillardise de l’impudicité. Là il roucoule, là il ricane… tout se joue sur le même air, la même mélodie exprime les douceurs et les malpropretés, le même clair de lune, le même parfum des œillets et des cytises, des iris et des tubéreuses sont chargés ici de volupté, allume ici de tendres flammes, là des feux impurs. Ce n’est qu’une différence de degré.

 

             Le savoir est l’eau-de-vie et l’ignorance est de l’eau fraîche.

 

             J’aime la Douce – Amère… »

 

             Quelqu’autre s’il vient à me lire, peut-être sera intrigué par les pages qu’Elie Reclus a consacré au pissenlit.

 

          Pissenlit   « Le pissenlit roi de la prairie, évoque l’idée de radiation : cette Composée est l’image d’état harmonique. Ses feuilles sont radiantes ; le pissenlit radie, il va du centre à la circonférence et revient de la circonférence au centre. 

             Cette fleur qui est un soleil, devient une voie lactée, un monde d’astres après la floraison. Elle passe de vert en jaune et en gris-bleu.

              La fleur est simple ; chaque fleur est si tranquille, est tout à fait chez soi et veut sa part de lumière, de chaleur, du monde entier dans le minimum d’espace.

             La splendeur du pissenlit, son moment de beauté suprême, est avant son complet développement. Les pétales du pissenlit sont jaunes, mais les étamines sont oranges. Quand le rouge s’y met, on pense à la chaleur, à la passion. L’orange enthousiaste évoque l’admirable élan des idéalistes. »

 

 

            Elie Reclus a treize ans, a été placé dans un collège des Moraves, à trois cent lieues de pays et de frontières des siens, Neuwied sa nouvelle demeure ; il savait que la barrière de séparation serait très effective, son exil réel. Ses parents étaient pauvres, les missives postales coûtaient alors trente-huit sous de port, somme trop élevée pour que sa mère pût écrire plus d’une fois tous les deux mois.

 

             Loin de sa Dordogne natale, une grande dépense cérébrale fut pour lui l’occasion de doubler sa force. En peu de semaines, il comprenait les leçons, devinait le sens des vers. La différence subtile de tout mot germanique lui fut bientôt révélée, il sut pénétrer mieux que la plupart de ses condisciples allemands le fond même de la langue et en découvrir le mystère.

             Un autre avantage de ces deux années de séjour chez les Frères Moraves fut de pouvoir étendre son amour instinctif pour la nature, grâce à de fréquentes promenades, la vallée du Rhin n’était pas ce qu’elle est devenue de nos jours… explique Elisée Reclus en 1904 à propos de son frère dans des pages destinées aux amis qui avaient connu Elie. 

 

         ElieReclus par Nadar    « Elie Reclus avait l’orgueil de se considérer comme un travailleur anonyme dans le champ de ses recherches où d’autres depuis se sont fait un nom. Je fis sa connaissance en 1898, incidemment nous parlâmes de folklore et spécialement de folklore botanique. Le jeune homme que j’étais fut frappé de constater que ce vieillard, tout en gratifiant son jeune visiteur des richesses de son savoir universel, prenait l’air d’apprendre du disciple.  Vaguement, en passant il mentionna des histoires sur les fleurs qu’il avait écrites autrefois, avant 1870.

 

             -  Prenez tout cela et étayer ces notes par des investigations sérieuses. Vous y trouverez quelque chose et vous serez capable d’étendre à l’infini ces recherches. Tâchez d’en faire usage. 

            C’est parmi ces dossiers que je découvris la plupart des « Physionomies végétales ». (B.P. Vandervoo)

 

          stramoine   De la Stramoine, Elie Reclus nous conte les pérégrinations et les noms multiples qui furent siens, « Trompette du jugement dernier dans le midi, Tatorrha en arabe, dont on a fait Datura et comment les mécréants l’expédiaient secrètement à quelque nécromant de Séville ou de Cordoue qui à grand’peine et à travers mille hasards la faisait parvenir aux adeptes de Paris, Prague, Cologne ou  Regensbourg. 

 

 

             D’origine patricienne – n’est elle paDaturas fille de l’enfer ? – ayant pour chef de famille la Datura fastueuse, elle a su accepter la pauvreté et l’indigence.

 

              Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, il faut la respecter et compter avec elle, qui se prête à son milieu pour le dominer.

 

Que désire le sage ? Être toujours soi, et toujours en harmonie avec le monde ambiant. »

  

 

 

             Il serait trop long et trop imprudent d’éventer les méandres où nous entrainent ces « Physionomies végétales», l’émerveillement de la Drosère, la rosée du soleil qui n’a d’existence que pour ceux qui savent regarder à leurs pieds...

 

drosera              

 

 

            « La vieille école ne veut voir dans les plantes que des tissus, à peine plus vivant que les cotonnades de Mulhouse et de Manchester…

             Les feuilles de la Drosère, qu’on râcle et gratte, qu’on écorche, frémissent et se tordent, changeant de position pour échapper à la torture. Racontez cela à un mandarin de l’Académie : il niera le fait d’abord…il vous expliquera que l’irritation de la plantiole sous le couteau est causé simplement par un phénomène d’irritabilité végétale.


             Haïssez-la si vous pouvez ; aimez-la si vous l’osez ! »


             Je choisis d’achever cette chronique avec la Rose ou le Secret de la Beauté parce que Elie Reclus avait voulu se révolter contre elle.

 

             « C’était au moment où certains jeunes garçons peuvent être bêtes et si désagréables, de onze à treize ans, dans la période que les Allemands ont appelée celle des Flegeljahre.

             Sans doute je trouvais alors que la rose était réellement jolie… J’étais révolutionnaire alors, et révolutionnaire je suis resté ; mais comme un petit niais, je débutais par m’insurger contre la Reine des fleurs… Et cependant je fais plus aujourd’hui qu’admirer la rose, je l’aime. Elle plait par modération des couleurs, parce qu’elle est rose et non pas rouge. Entre parenthèses, ceux qui cherchent la rose bleue sont des insensés…

             La Rose préférée de tous, sera toujours une rose relativement simple, ce sera la plus belle dans une variété spéciale.

 

             Pourquoi est-elle la fleur préférée de tous ?rose

 

             C’est qu’elle a toutes les qualités, de manière à rallier la majorité des suffrages et faire plaisir à tous.

             Le vulgaire adore ce qui n’est pas pour le vulgaire. Cela suffit pour que tout le vulgaire profane se pâme d’admiration pour la Rose… Il lui faut se parer d’une rose. Pourquoi ? Pour que la Rose le méprise du fond de son âme !

             Nous voulons la résistance. La Rose nous plaît parce qu’elle est belle, parce qu’elle nous défend de l’approcher, et parce que nonobstant, nous mettons la main sur elle, et grâce à son impuissante résistance, nous jouissons d’un triomphe facile.


             C’est qu’enfin elle a des épines…


            L’enfant ne désire si fort la lune que parce qu’on ne peut la lui donner.

Noli me tangere est le grand secret de la Beauté. »

 

             En conclusion, un extrait des «  Fragments » où Elie Reclus s’interroge sur la vie végétale, l’âme végétale. « Qui nous en révélera les mystères ? Qui a pu les deviner ? Qui a pu les sonder ?...

             Vaut-il mieux mourir ou ne pas mourir ? Vaut-il mieux être chêne ou cyprès, if ou hêtre, un arbre à feuilles qui tombent ou bien un arbre à feuillage persistant ?

 

             L’amour passe sans passer. L’amour est une sensation intime et profonde dans les arbre automneorganes mêmes de la vie ; c’est une volupté avec le maximum de bonheur et le minimum de conscience. On s’y perd, on s’y égare.


             Parfois, et même souvent, la livrée d’automne est plus éclatante que ne fut la livrée de printemps… la feuille est satisfaite… Elle  se fait belle pour mourir, meurt avec grâce, meurt avec le plus beau des sourires. »

             (Zurich 1876)

 

 

 

 

Editions Héros-Limite

géographie(s)

Dessins de Marfa Indoukaeva (à l'encre noire )

2012.

 

                                                                                                   Hécate

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11 juillet 2012 3 11 /07 /juillet /2012 18:05

Sans titre 4

 

 

MALDITO TANGO

 

 

 

 

 

 

« Le tango est plaintif et nostalgique. Pour chaque situation de la vie, il est un tango qui la représente avec un incomparable pouvoir évocateur, pouvoir mythique ».( Saul Yurkievich)

 

 

 

 

 

 

 

            Après l’Alcool et la Nostalgie, la nostalgie étant un pays sans frontière, je continue le voyage, même si je suis descendue du transsibérien, je n’ai pas cessé d’être en exil. D’un climat à un autre, on se retrouve enlacées étroitement, moi et la nostalgie.

 

« Nue elle s’est donnée

lorsque ma voix

a cherché sa peau

sous la lune…

 

Sombre conjonction de soif et de solitude,

bouches qui boivent une eau de paix.

Mais l’amour est un combat sans merci,

une lutte de fièvre, de feu et de fiel.

 

Tes lèvres

Me cherchent, me brûlent,

Nue je t’ai prise

sous cette lune

qui nous a donné son miel… »

(Julio Cortazar/ Edgardo Cantõn)

Lune du 03 07 2012 015

 

            Le tango c’est une musique, c’est une danse, c’est une confidence, une bruine dans la nuit des faubourgs de Buenos – Aires. Trottoirs de là-bas, ou d’ici. Trottoirs de Pigalle…

 

"Solo en la noche, cruzando voy

por una calle del vieux Paris.trottoir

Porteño y rante, tanguero soy

y anclé muy lejos de mi pais…"

 

 

chante Melingo dans un tango écrit en « lunfardo » (l’argot d’Argentine) où un argentin qui parcourt le vieux Paris évoque les tangos anciens de sa jeunesse.

 

            Les poètes du tango utilisent la gouaille pour dire la souffrance, la misère, la maladie, empruntent tous les labyrinthes du désespoir, du désir, de l’amour et s’expriment dans le langage populaire.

Le sens de la fête et du pathétique sont là.

 

            « Quelqu’un a dit que la poésie était le concentré de la douleur universelle. Si, tout comme l’amour non partagé, les injustices donnent naissance à des vers, ici les vers donnent naissance à des tangos. Des tangos qui ne sont pas le reflet de la vie de leurs auteurs, mais des symboles de leurs vies et de leurs expériences. » (Luis Alposta)

 

            Il y a des tangos maudits, comme il y a des poètes maudits. François Villon, Baudelaire, Rimbaud…

 

« Les blessures et les rêves

se sont rassemblés une nuit

Personne ne connaissait l’heure,

personne ne savait l’endroit…

Les larmes se sont cachées

par honneur et par mensonge

et dans les rides du passé

leur cœur a fleuri… »

 

            chante Cuarteto Cedron, ma première véritable rencontre profonde avec le tango il y a bien longtemps « Le lunfardo » est né du jargon carcéral, mais le premier dictionnaire lunfardo aurait été écrit par un commissaire de police à l’usage de son personnel !... Langues et dialectes italiens, espagnols, portugais, français, polonais et de tout être humain émigré en quête de pain, de paix, de travail et de liberté… (Juan Cedron)

 

            Le tango aux origines obscures est porté par la légende qui domine son histoire. Valses, habaneras, milongas, candombé. Le tango est devenu avant tout une fleur de pavé urbain.

 

                        « Le tango une pensée triste qui se danse.

 

tango

 

                        Le tango un univers où tout est posthume. »

 

            Toute la philosophie du tango se tient dans l’écart parfois douloureux entre ce qui n’est plus et ce qui n’est pas encore.

Astor Piazzolla a baptisé l’une de ses plus belles pièces : Lo que Vendra / Ce qui viendra.

 

« Terrible élégance : l’effroi et l’attirance. La peur et la beauté. Ce pourrait-être une bonne définition du tango. » (Gilles Tordjman)

 

« Quelle nuit pleine de froid et de dégout.

Le vent porte une étrange plainte…

Bruine, tristesse, même le ciel s’est mis à pleurer !

 

Les gouttes tombent jusqu’au fond de mon âme,

jusqu’aux os, nus et gelés

et cette torture, humiliée, passe

comme le vent,

en me poussant. »

(Domingo Enrique Cadimo 1943)

 sur01

« Comment t’oublier, bistrot de Buenos – Aires,

dans ma douleur,

tu es le seul dans cette vie

qui ressemble à ma vieille.

Mélange miraculeux

de crâneurs et de suicidés,

par toi, j’ai connu la philosophie

les dés, les tripots…

 

Tout petit je te regardais de l’extérieur

comme ces choses qu’on n’atteint jamais :

le nez sur la vitre…

J’ai pleuré le soir de ma première déception

sur tes tables qui ne posent jamais de questions

J’ai connu mes premières peines, j’ai bu mes années… »

          (Enrique Santos 1947)

 

 

« Où donc était Dieu quand tu es partie ?

Où était le soleil qui ne t’a pas vue ?

.................

Pourquoi une femme ne comprend-elle jamais

qu’un homme donne tout en donnant son amour ?

Je suis une chanson obsédante

qui crie sa douleur et sa trahison. »

(Enrique Santos / Discépolo 1945)

 

« Qu’est-ce qu’ils en savent,

ceux du gratin, les pomponnés, les petits maîtres ?

Qu’est-ce qu’ils en savent 

de ce qu’est le tango ?

Et que savent-ils de la cadence,

c’est ça, l’allure, la silhouette et l’élégance !

Et le maintien, et l’arrogance, et pour la danse

quelle classe !

 

Sentir au visage

le sang qui monte

à chaque cadence

pendant que le bras

comme un serpent

s’enroule à la taille

qu’il va briser.

Le tango se danse comme ça ! »

(Marril / Elias Raudal 1942)

 

            Rituel de sombre luxure, une couleur aussi, la couleur tango... couleur orange. Il a mauvais genre le tango… C’était ce que l’on me disait, quand adolescente, j’avançais que j’aimais cette danse, ces voix âpres, cette musique de cordes et de bandonéon.

 

            Comme un duel à la dague il se danse.

 

            On dit que le tango aurait surgi vers 1880 dans les  "Vieilles écuries" sur le sol de quelque épicerie pour garçons d’abattoirs, entre deux parties de cartes, dans une cour de terre battue…

 

            Tango de tavernes et de lupanars… « dont l’origine serait une danse mauresque adoptée par les gitans d’Espagne et transportée dans la République d’Argentine. D’Amérique, où elle prospéra dans les milieux nègres, cette danse revient en Europe en 1912, dépouillée en partie de sa mimique inconvenante pour devenir une sorte d’ondulation compliquée, avec marche cadencée, à deux temps, et chassée sur le côté. » (Larousse du XXème siècle)

 

« Me voila. Je suis le Corbeau,

Passionné de bastringue,

Et même si ça fait mal je continue,

Je fais l’imbécile, et danse le tango

avec encore plus de figures… »

(Florencio Iriarte 1918)

 

Te souviens-tu, frère de ce temps-là ?

C’étaient d’autres hommes, les nôtres plus hommes encore

on ignorait la coco, la morphine,

les jeunes d’alors ne se servaient pas de gomina…

 

Où sont passés les jeunes gars d’alors ?

Ancienne bande d’hier où es-tu ?

Moi et toi, seuls nous restons, frères

moi et toi, pour nous souvenir… »

(Manuel Romero 1926)

 

            La désillusion et les peines tel le chiendent qui s’accroche à l’âme sont dures à tuer.

            Comme un œillet sur l’oreille, elle se glisse la nostalgie…oeillet rouge

 

« Je veux saouler mon cœur,

pour éteindre un amour fou

qui plus qu’amour est une douleur ;

je viens ici pour ça,

pour effacer de vieux baisers

sous les baisers d’une autre bouche…

 

Je veux lever mon verre pour nous deux,

pour oublier mon obsession ;

mais elle revient encore et toujours.

 

Nostalgies : écouter son rire fou,

et sentir contre ma bouche,

comme un feu, sa respiration ;

et l’angoisse : me sentir abandonné,

et penser qu’un autre, près d’elle,

vite, très vite, lui parlera d’amour…

 

De ma triste solitude, je verrai tomber

les roses mortes de ma jeunesse.

 

Gémis, toi bandonéon, le tango gris,

peut-être souffriras-tu, toi aussi,

d’un amour sentimental

 

Pleure mon âme de pître,

seule et triste dans cette nuit,

nuit sombre et sans étoile… »

(Domingo Enrique Cadicamo 1936)

 

Ciel 014

 

            Entré dans la légende avec la mort de Carlos Gardel, le tango devient un opéra surréaliste. Astor Piazzola en compose la musique sur un livret de Horacio Ferrer.

 

« Je suis Maria, Maria du faubourg, Maria nuit, Maria passion fatale, Maria de l’amour de Buenos – Aires je suis, moi ! »

Maria, la rose d’un je-ne-t’aime-pas, c’est le tango de la fugue et du mystère, c’est le pressentiment du bandonéon qui d’une balle dans l’haleine devine sa mort. Mais son ombre doit revenir, torturée par la lumière du soleil. Corps enseveli de nuit, sans identité, sans souvenir, appelée par le Duende, Maria prédit aux hommes qu’ils entendront son tango la première et la dernière fois « qu’un certain vent-asthme du Sud, saveur d’Amen, mâle exilé - commencera son Tango…»

 

             Le Duende, Esprit ivre-mort dans le magique bistrot talismanier, Pauvre Esprit qui appelle et pleure désespérément.

 

« Et de moi où que tu sois, avec une force folle, comme un hymne saugrenu… un vieux violoniste aveugle jouera pour toi sur la tierce crasseuse de son stradivari…

Et dans un silence de croche arrivera ton jour : ton dimanche alezan te donna le jour et des plus laides feuilles d’un laurier-rose, l’étrange et angélique beauté de son bouquet.

 

C’est Dimanche : laurier et hasard…

C’est Dimanche : laurier Tortueux

Etrange semailles de ce Dimanche…

c’est Dimanche, et ils fainéantent

jusqu’aux septièmes tangos.

 

UNE VOIX DE CE DIMANCHE-LA

 

Fin et commencement veulent être

des gouttes des mêmes pleurs. »

 

Maria de Buenos-Aires

 

 

 

 

 

«En Maria s’unissent le Bien et le Mal, ce qui séduit, ce qui inspire. Il y a une tension dans le récit, dans la musique, dans le rapport entre la musique et les mots, dans l’idée qui est à la base de l’histoire et qu’on peut rapporter à n’importe quelle destinée humaine. » (Gidon Kremer)

 

            Le passé revient s’affronter à la vie, réverbère de la nostalgie, où errent les souvenirs qui enchaînent la rêverie, âme du tango.

 

 

 

 

 

« Mais le voyageur en fuite

tôt ou tard s’arrête en chemin.

Même si l’oubli qui détruit tant

a tué ma vieille illusion,

humble je garde une espérance cachée

pour toute fortune de mon cœur. »

(Alfredo Le Pera / Carlos Gardel)

 

En complétude de cet autre voyage au bout de la nostalgie, un de mes poèmes écrit en 1980 qui parle de ...

 

TANGO

 

Le soir est lourd comme un tango d’Argentine

Le vent s’est pendu dans les hautes branches

La glycine sur le mur s’est faite câline

Et ta caresse glisse doucement sur ma manche...

 

Musique tu es comme une grappe de raisin noir

Ecrasée sur ma bouche pour étouffer le silence,

Ta plainte lascive réchauffe la mémoire

Des cris de ton pays dressés comme des lances.

 

Le soleil est en deuil sur les oripeaux des rues

Et la voix âpre qui se plaint comme on danse

Résonne comme un appel vers les nues

Sur un rythme de circonstance,

 

Le jour tenant dans ses bras enlacée

La mélancolie fardée de sourires

Danse la vie et la mort fortement embrassées:

Ni le sang, ni les fleurs ne veulent mourir !

 

Hécate

 

 couverture livre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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